Je ne me considère pas comme une féministe militante, engagée, mais je n’en reste pas moins une femme et, plus j’y réfléchis, plus je ne peux m’empêcher de penser que, par défaut, je suis féministe. Parce que j’ai chaque jour (sans aucune exagération) l’occasion de me rendre compte que les femmes sont traitées comme des êtres de second plan et que, parfois, c’est agaçant. Pour rester dans l’euphémisme… Parfois, je n’y prête pas attention parce que je ne me sens pas assez combative, parce que je n’ai pas l’énergie de l’affrontement quotidien ou simplement parce que ce traitement est tellement intégré que je ne prends pas conscience de toutes les remarques déplacées.
Parfois, je suis heurtée mais, même dans ces cas-là, la plupart du temps, je ne réagis pas. Je ne sais pas comment il faut le faire pour ne pas me laisser sombrer dans le bêtement agressif.
Récemment, en compagnie d’une assemblée d’une dizaine de personnes, majoritairement masculines mais nous étions tout de même trois femmes, j’écoute la conversation, tout à fait anodine, qui porte sur la jeunesse. Presque toutes les personnes ont la cinquantaine et évoquent avec une nostalgie agréable quelques anecdotes. L’un d’eux, celui qui prend le plus souvent la parole, qui se sent le plus à l’aise, se souvient des boîtes de nuit, de comment il fallait ruser pour que les imposants vigiles le laissent entrer. En effet, il était plus aisé pour les filles d’accéder aux boîtes car elles étaient beaucoup moins nombreuses que les garçons qui, eux, étaient filtrés à l’entrée. Les filles entraient souvent sans payer. Les garçons, même en payant, n’étaient pas certains de pouvoir entrer, surtout lorsqu’ils venaient en groupe ; ce qui était bien souvent le cas. Il leur fallait être accompagné d’une fille pour se voir autoriser l’entrée sans souci. Ainsi, il raconte en souriant le paradoxe d’aller en boîte avec des copains pour draguer des filles et de se voir refuser l’entrée parce que, justement, il n’y avait pas de fille avec eux.
Sur ce, un homme, qui est accompagné de sa femme, voulant manifestement apporter sa contribution à la conversation, conclut en disant « Est-ce que tu emmènes ton steak au restaurant ? ». C’est une blague. Rien de méchant. Juste une envie de placer la phrase en contexte. Et, c’est vrai, elle s’intègre parfaitement dans l’environnement. La qualité de la blague est très médiocre mais elle s’intègre. Et ça fait rire. Pas à gorge déployée mais ça amuse, ça fait sourire.
Je reste ébahie par l’indélicatesse du propos mais je parviens à peine à lancer un « C’est élégant ! » que personne ne relève. Et la conversation passe à autre chose.
Que s’est-il passé ? Suis-je particulièrement sensible et devrais-je, moi aussi, ne pas souligner ce type de propos ? Ce n’est pas seulement que la phrase est sexiste, c’est surtout qu’elle est très bête et ne me fait absolument pas rire. Sans humour, sans trait d’esprit, une telle phrase ne conserve qu’idiotie et grossièreté.
Un steak. De la viande. Ça ne choque même pas les femmes présentes. L’image qui me vient à l’esprit est d’une vulgarité violente. J’en deviendrais presque une végétarienne convaincue tellement ça me dégoûte. On consomme de la femme comme on avale de la bidoche. On l’achète, on l’avale, on la chie. C’est parce que cette image horrible m’est apparue instantanément que j’ai été tellement offusquée. J’ai bien fait de ne rien dire. Personne autour de la table n’aurait compris que je voie les choses de cette façon. C’est vrai que c’est sans doute exagéré et que cet homme ne pensait à rien de tout ça quand il a parlé. Il voulait simplement faire sourire, sans aucune acrimonie.
Pourtant, j’aurais aimé pouvoir amorcer un dialogue. J’aurais aimé être capable d’expliquer, dans le calme, pourquoi une telle blague était offensante par sa médiocrité. J’aurais aimé faire entendre mon point de vue, ne pas m’autocensurer parce que je savais que je ne serais pas comprise et que j’avais peur de ne pas parvenir à conserver mon sang-froid lorsque la conclusion inévitable serait « Oh, c’est bon. C’est juste une blague. Faut pas en faire tout un plat ». Socialement, j’ai bien fait de me taire. Ainsi, je suis resté intégrée au groupe. Personnellement, je me sens lâche. Mal armée pour savoir comment réagir dans ces cas. J’aimerais, sans sombrer dans le militantisme ni dans le communautarisme, pouvoir évoquer le mal-être que peut provoquer une telle blague. En toute simplicité. Et passer à autre chose parce que, c’est vrai, ce n’est pas gravissime. Mais j’avais quand même envie d’en parler…
Je comprends. Tu l’as bien expliqué d’ailleurs. Et alors, que faire ? Je peux juste te dire ce que je fais moi, j’explose régulièrement, quitte à m’excuser plus tard pour l’explosion, mais je ne sais pas si ça t’arrange. Comme tu dis, l’intégration dans le groupe…
Je suppose qu’on peut différencier un peu les situations. Il y a le contexte de confiance, où tu sais que tu peux toujours te racommoder avec les gens, peu importe la dispute.
Et il y a le contexte où ne règne pas la confiance, tu peux être exclue du groupe. Le cas présent. Tu peux te dire : je veux rester intégrée. Ou bien tu peux te dire : intégrée à qui ? À quel prix ? Pour quelles raisons ?
Et tu peux réaliser que cette intégration n’en vaut pas le prix. Et puis, tu peux aussi te poser en « râleuse » ou « révoltée », et imposer d’être acceptée comme telle. Et puis finalement tu peux retourner la situation : ce n’est pas le groupe qui décide de t’intégrer ou pas, c’est toi qui décide d’intégrer ou pas le groupe ou ses membres. Et cet état d’esprit est ressenti par ton interlocuteur, s’il pense que c’est toi qui le juges pour sa conduite, ce n’est pas comme s’il se prend lui pour le maître de la situation.
C’est vrai. Il y a ces questionnements que tu évoques… En permanence… En général, je l’ouvre… Peux pas m’en empêcher… Mais c’est pas la meilleure solution non plus. Le problème est que cet exemple-ci est tiré d’une anecdote au sein d’un groupe mais que ces anecdotes sont tellement fréquentes. Elles ne se rencontrent pas qu’au sein de certains groupes en particulier mais dans la société en général. Il s’agit de savoir en fait si on peut continuer à fonctionner normalement au sein de la société dans laquelle on évolue ou si ce n’est plus possible… C’est mon questionnment actuel.
Ah oui, c’est un questionnement plus profond 🙂 Je te souhaite de trouver une bonne réponse.
Petit questionnement pratique : je peux corriger une faute de frappe sur mon comm’ précédent ?
Je cherche… Je cherche…
Pour les corrections, j’ai bien peur que ce blog ne soit pas configuré comme un forum de discussion : c’est moi le chef ! 😀 Pardon, c’est juste une question de configuration ! J’ai regardé ton comm’ et j’ai corrigé « s’il se prends » en « s’il se prend ». C’était ça ta correction ? Sinon, dis-moi et je pourrai le faire pour toi. Je sais, c’est pas très pratique…