Dans les ténèbres

Quand elle revient de la machine à café ce matin et qu’elle se met devant son ordinateur, il lui manque quelque chose. Ses lunettes ! Elle fouille dans son sac mais ne les trouve pas. Ni dans ses poches. Il ne lui reste plus qu’à remettre son portable dans sa pochette et à rentrer chez elle. Elle ne peut pas travailler sans ses lunettes. Elle fera sa journée de travail chez elle.

Arrivée à la maison, elle sort sa paire de secours qui, elle, se trouve bien dans le tiroir de la table de chevet. Elle allume l’ordinateur et se met à travailler mais elle ne parvient pas à se concentrer. Elle quitte son poste toutes les cinq minutes pour chercher ses lunettes. A midi, elle ne prend même pas le temps de déjeuner. Elle préfère passer cette pause à une exploration approfondie de l’appartement. Elle passe en revue les endroits les plus probables : tiroirs de la chambre et du salon, étagères de la salle de bains, table de la cuisine. Aucun résultat. Elle fouille alors au hasard : sous les meubles, dans le lit, dans les casseroles, dans le four, dans la cuvette des toilettes, dans les baskets. Rien, rien, rien. Elle les avait pourtant la veille.

Lorsque François rentre le soir, elle est hors d’elle. Elle ne lui laisse pas le temps d’entrer. Elle lui jette au visage son histoire, son impatience, sa fouille, son incompréhension. En accrochant son manteau à la patère, il tente de la calmer en lui répondant gentiment qu’elle a dû simplement oublier un endroit. Son flegme la met en rage.

— Est-ce que j’ai l’air de n’avoir pas retourné tous les objets de l’appartement ? Est-ce qu’il te semble que j’ai attendu assise dans le canapé que les lunettes me tombent du plafond dans les mains ?

— Mais non, t’énerve pas comme ça. On va chercher ensemble. Tu as pensé au tiroir de la table de chevet ?

— Bien sûr !

— La salle de bains ? La cuisine ? Tu as bien fouillé partout ?

— Qu’est-ce que tu m’agaces ! Bien sûr que j’ai cherché. J’ai même regardé dans le four et dans la poubelle si tu veux savoir. Je te dis qu’elles ont disparu.

— Bon, écoute, j’arrête de t’aider si c’est comme ça. Ou alors…

— Ou alors, quoi ?

— Tu es allée à la cave ?

— A la cave ? Pourquoi faire ? Je n’y vais jamais.

— On sait jamais. Puisque tu les trouves nulle part et qu’elles sont à la maison. Elles sont peut-être à la cave.

— Mais c’est aussi stupide que d’aller chez les voisins du dessus chez qui on n’a jamais mis les pieds !

— Ecoute. Moi, si j’étais toi, j’irais. Au moins pour avoir le coeur net. Non ? Pendant ce temps, je fais un tour dans l’appartement.

Agacée, elle prend les clés de la cave et descend les escaliers en maugréant. Ca lui donne au moins l’occasion de quitter l’appartement un instant et d’échapper à ses propositions idiotes qui lui mettent les nerfs en pelote.

Elle ouvre la cave mais elle n’y voit rien. Il n’y a pas de lumière dans cette cave qu’ils n’utilisent même pas pour entreposer du vin, à peine quelques planches pourries et un escabeau en alu. Pourtant, au milieu de la pièce, elle discerne un tabouret dont elle ne se souvient pas. Elle sort son téléphone, et active la torche dont elle pointe le faisceau vers le petit meuble. Sur le tabouret, elle découvre ses lunettes, ainsi qu’un petit carton posé sur une boîte rouge en forme de coeur. « Joyeuse Saint-Valentin, ma puce ! »

— Quel abruti ! ne peut-elle s’empêcher de siffler entre ses mâchoires crispées. Elle s’en mord le poing de rage. François et ses surprises à deux balles. Il l’a bien eue. Elle n’a rien soupçonné du tout. Aujourd’hui, ça ne la fait plus du tout rire de partager la vie d’un joyeux drille. Plus du tout. Elle referme la cave et remonte.

— Alors ? Tu les as trouvées ?

— Ben non. Je te l’avais bien dit. Evidemment qu’elles n’y sont pas. Pfff…

Elle passe devant François pour aller se servir un verre d’eau à la cuisine. Il la suit.

— T’es sûre ?

— Bien sûr que je suis sûre. Pourquoi ? Qu’est-ce que t’as encore fait ?

— Rien. Rien. Je me disais que c’était la seule solution qui restait.

— Eh bien non. Elles y sont pas. J’ai plus qu’à les faire refaire.

— C’est quand même bizarre… Je vais aller y jeter un oeil pour être sûr. On y voit rien en bas. Je descends avec de la lumière. Je reviens tout de suite.

Dès qu’il a tourné le dos, elle enlève ses chaussures et le suit sans bruit dans les escaliers. Elle le laisse ouvrir la porte de la cave et lorsqu’il est à l’intérieur, elle referme rapidement la porte et la verrouille d’un tour de clé.

— Joyeuse Fête ! Bonne nuit et à demain. Je t’apporterai des croissants, mon amour. Regarde sur le calendrier. Le 15 février, c’est la Saint-Claude !

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