Ce matin-là, je prends le premier métro. Il passe à Belleville, sur la ligne 11, à 5h35. C’est tôt, 5h35. Il m’arrive de me lever plus tôt, c’est certain, mais c’est en général pour partir en randonnée, prendre un avion ou un train.
À 5h20, la station est déjà ouverte et le quai se remplit. On n’atteint pas l’affluence des heures de pointe mais il y a beaucoup de monde. Certains de ces usagers, comme moi, sont ceux qui n’ont pas pu prendre le dernier bus de nuit. Car lorsque les autobus nocturnes rentrent se coucher, ce sont les métros qui prennent la relève. Entre le dernier bus et le premier métro, il n’y a qu’un quart d’heure d’intervalle. Or, nous ne sommes pas sur ce quai car nous avons raté le bus ; il n’est tout bonnement pas passé. Je l’ai attendu dix grosses minutes. Puis, une dame s’est approchée de moi, m’a demandé si j’attendais depuis longtemps et, légèrement désabusée, a lâché :
— Il ne passera pas. Hier, c’était pareil. Il n’est pas passé. C’est à cause des travaux. Il vaut mieux prendre le métro.
Je l’ai remerciée et je l’ai suivie. Elle dégageait la force de l’expérience, elle n’a pas hésité à se diriger vers la bouche du métro.
L’atmosphère de cette attente souterraine matinale est différente de celle qui lui succèdera un peu plus tard, qui sera à la fois un peu plus fourmillante et un peu plus silencieuse. À partir de 7 heures, si l’on excepte les quelques fêtards occasionnels qui peuvent perturber la somnolence par leurs derniers cris de fête alcoolisés, c’est le nombre qui crée le brouhaha, le bruit des pas, des sacs et des vêtements, la musique assourdie d’un casque de qualité douteuse, les vibrations de téléphones. Sur ce quai, ce matin, dans le calme d’un quai de métro sans rame de métro, ce sont les bruits des conversations qui animent les lieux. Oh, pas de longues discussions passionnées. Des gens qui se saluent. Quelques mots échangés. On se reconnaît. On s’interroge sur ce bus de nuit absent. On se souhaite une bonne journée.
À 5h35 tapantes, la première rame arrive et tout le monde monte. Le wagon est pratiquement plein. Les trois ou quatre blancs, dont je fais partie, ont presque tous une valise ou un sac de voyage, à part une dame d’une petite soixantaine qui discute avec une autre dame, deux habituées. Nous allons prendre un train ou un avion. Cet horaire nous est exceptionnel. Tous les autres sont noirs. Ce sont très majoritairement des femmes ayant dépassé la cinquantaine. Je ne peux certes pas savoir où elles se rendent ni pourquoi, je ne les ai pas interrogées, mais je vois bien qu’elles ne rentrent pas de soirée et que, pour elle, cet horaire est habituel. À cette heure-ci, elles vont au boulot. En transport en commun. Je ne pense pas qu’elles s’en vont animer une matinale à la radio. J’ai peut-être des préjugés… Je ne demande qu’à les faire taire.