Un « Belle journée ! » se plaît fréquemment à prendre la place d’un « Bonne journée ! » devenu désuet, prêt à sombrer dans l’oubli. Il semble pourtant que l’adjectif bon s’utilise tout simplement, dans ces formules de souhait, sans malice, sans dessein spécifique, sans qu’il soit donc besoin de le remplacer. Bonne journée, Bon anniversaire, Bon voyage, Bonne année… On emploie ces expressions sans y réfléchir. Le problème vient-il de ce que cet usage se soit imposé depuis trop longtemps ? On en a marre ? On veut passer à autre chose ? Le pauvre adjectif serait-il tout bonnement (bellement ?) devenu vieux ? Mais qu’est-ce que ça a de plus une « belle journée » ? J’en viens à me demander si la beauté ne deviendrait pas supérieure à la bonté, même si ce n’est pas un attribut de bonté ou de beauté qu’on évoque quand on se souhaite de passer une journée de qualité. Lorsqu’on change l’adjectif, n’y met-on pas une intention particulière ? Ne donnons-nous pas d’importance à la beauté ? Mais s’il n’en est rien, si l’expression vient simplement se substituer à du trop entendu, du qui nous a rebattu les oreilles, la beauté va-t-elle finir par s’installer en maître dans notre langue, au-delà des simples formules toutes faites, se nicher dans d’autres expressions ?
Les vœux de « belle année » sont devenus tellement courants que souhaiter une bonne année s’apparente à ne rien désirer de beau à la personne à qui on s’adresse. Elle reçoit ces vœux obsolètes comme une réminiscence de la bonne chère encore bien présente dans son ventre et préférerait qu’ils soient tournés vers un avenir souriant, remplacés par une belle digestion proche. Elle en est presque chagrine de tant de passéisme.
On est de moins en moins « quelqu’un de bien », on est plus une « belle personne ». N’imaginez-vous pas un sourire bienveillant se peindre amicalement sur la personne qui utilise cette expression ? « C’est une belle personne »… Ça se dit sur un ton emprunt de bonté (de beauté ?) et d’admiration douce. C’est peut-être plus suave. Ça se situe par delà le bien et le mal… Dans la belle personne, on entrevoit la beauté de son âme. Incomparablement supérieure à la « bonne dame » et au « bon monsieur », c’est certain ! Et transgenre qui plus est, ce qui ne gâche rien.
Alors… Doit-on dire également « Beau jour ! » ? La perspective d’un matin rempli de surprises et d’aventures prometteuses nous ferait rapidement oublier le « Bonjour » plat et froid auquel nous ne prêtons plus attention depuis longtemps. « Un beau jour, tout bascula… » À nous les péripéties, les odyssées, les folles épopées. La jeunesse, quoi !
Et si on me souhaite un « Beau voyage ! », me voilà heureuse comme Ulysse ! On ne me souhaite pas simplement que le trajet soit sans encombres, qu’aucune nausée ne vienne perturber le déplacement, que la route soit dégagée, on me prédit en plus que je vais faire des découvertes sensationnelles.
La beauté est jeune. Elle est fougueuse, impétueuse, chargée de vie !
Le bon est vieux. Il est terne et terre à terre. Il ennuie.
Il suffit de modifier le vocabulaire et le monde change. La beauté fait fleurir les champs autour de nous, elle illumine l’asphalte, elle gambade sur la plage. Bouillonnante, vivace, éphémère, elle n’est pas là pour s’imposer pour des siècles et des siècles comme ces bons souhaits qui nous pèsent par leur immobilisme. Elle est déjà prête à laisser la place à des mots plus fringants encore ! Et pourquoi pas « Jeune journée ! » ? Encore un adjectif prometteur… Ou même « Grande journée ! » ! Lorsque nous nous serons lassés du beau, une foule d’adjectifs plus flatteurs les uns que les autres seront sur les starting-blocks. Tant qu’on s’y retrouve…
Mais à interchanger les mots, on risque de se perdre un peu. Inutile de chercher un roman intitulé « Bon-Ami », on risque de rentrer chez soi avec de la poudre à récurer… Le bel homme n’a pas envie de se transformer en bonhomme. Et le bon Dieu dans tout ça ? Croyez-vous que ça lui ferait une belle jambe de devenir un beau Dieu ?
Beau, allez ! Les mots ont beau dos… J’ai bon jeu de leur faire dire ce que je veux… Cette belle vieille « Bonne journée ! » n’est peut-être pas totalement fichue. Quand l’éphémère beauté se sera estompée, nous verrons bien à qui elle laissera la place.
En souhaitant que cette lecture fut belle !
salut, on utilisait déjà l’expression « belle journée » en 2018 ? comme le temps passe ! en tout cas merci pour ce billet, car cette expression me hérisse le poil 🙂
Eh oui ! Tu te rends compte ! Ce billet date à peine de 2018 et il semble déjà obsolète ! L’expression était déjà bien installée, elle terminait de plus en plus fréquemment les mails. Je ne sais toujours pas pourquoi… Je ne vois que le désir de nouveauté permanente… J’ai dans l’idée de notre « belle journée » sera à son tour détrônée. « verte journée » ? « grand.e journ.é.e » ? Tu paries pour laquelle ? 😉
désolée, je viens juste de voir ta réponse. en fait je ne parie pour aucune. ces formules me semblent tellement « sans conviction ». c’est comme quand on croise quelqu’un et qu’on pose la question « ça va ? » en espérant juste que la personne répondra « ça va » car on n’a pas envie de s’embêter avec ses problèmes…
Ca ne me gêne pas que les paroles d’usage ne dénotent pas un réel intérêt pour l’autre. Quand on dit « bonjour, ça va ? » à quelqu’un, on répond à une règle sociale qui exprime qu’on prend en compte l’autre et qu’on n’a aucune intention malveillante envers l’autre. Rien de plus (ou pas grand chose d’autre). C’est vrai qu’on se fiche un peu de savoir si l’autre va réellement passer une bonne journée ou s’il est bien allé à la selle. Mais c’est toujours mieux de se dire « bonjour » que de se donner des gifles ! 😉