Gabrielle est fatiguée. L’avion a eu du retard. Elle devait rentrer plus tôt. Quand elle arrive à la maison, il est déjà 1 h du matin. Elle entre sans bruit. Léo doit dormir. Il a dû lui laisser son dîner sur la table ou au frigo. Elle allume la cuisine ; se sert un verre d’eau. La table est vide. Elle ouvre machinalement le frigo. Pas grand chose non plus. Mais elle n’a pas faim à cette heure-ci. Elle se sert une bouteille de bière et passe au salon. Elle va la boire tranquillement, profiter du silence et de la douceur de la nuit avant de prendre une douche et de se faufiler sous la couette avec Léo.
C’est un moment délicieux. Gabrielle aime tout spécialement ces bulles de calme après la fatigue du voyage, avant la fougue des retrouvailles. Elle vient de passer un mois au fin fond de l’Asie centrale, dans des monts désolés où elle ne captait rien. Le bonheur. Léo lui a manqué. Beaucoup. Plus que d’habitude. Elle goûte avec délectation ces quelques minutes qui la séparent encore de sa chaleur, un léger picotement à la lisière de la douleur et du plaisir. Elle ferme les yeux.
Quand elle les ouvre à nouveau, son front se plisse légèrement. Elle n’y voit pas bien dans la pénombre. Elle n’est pas certaine. Pourtant… Elle se lève et s’approche du mur en face d’elle. Il manque une photo. Un vide clair remplit l’espace au milieu des autres photos encadrées. Elle balaye la pièce du regard pour voir si la photo ne serait pas posée sur la table ou sur le bureau. Non. Rien. Elle aurait pu tomber et son verre protecteur se briser. Léo l’a peut-être rangée. Il a peut-être pensé à la remplacer.
Elle se rassied et réfléchit. Elle cherche à savoir de quelle photo il s’agit. Le mur en est recouvert. Surtout des paysages, des souvenirs de voyage. Des images fugaces de leurs périples défilent rapidement. Dernièrement, il l’accompagne rarement car il est très pris par son travail mais ils ont beaucoup crapahuté ensemble. Elle sourit à certaines évocations. Et soudain, elle se fige. Bien sûr, elle sait. Elle sait bien de quelle photo il s’agit. Elle se lève brusquement pour vérifier. C’est bien cette photo. La seule sur laquelle ils sont tous les deux. Enlacés. Leur photo symbole. Ils ne voulaient que celle-ci au milieu des images du monde.
C’est alors qu’elle se rend compte qu’il manque beaucoup de livres sur les étagères. Le bureau est bien rangé. L’ordinateur a disparu. La pièce est impeccable. Elle tourne tout doucement un regard craintif vers la table basse. Elle est vide. Aucune enveloppe ne la défie. Elle n’ose plus bouger. Elle se remémore son passage à la cuisine ; elle n’y a rien vu non plus.
Il est temps de se rendre dans la chambre à coucher. Gabrielle en observe la porte fermée. Sans bouger. Au bout d’un temps infini, elle prend son courage à deux mains. Il lui faut y aller. Elle prend son sac de voyage, ouvre la porte d’entrée, la referme en silence derrière elle et s’éloigne sans bruit vers les escaliers.