La traduction automatique fait de moins en moins rire. On y a même recours… On dit qu’elle a fait beaucoup de progrès depuis dix ans. On dit qu’avant c’était du charabia mais qu’aujourd’hui, ça marche bien.
Certes les moteurs s’améliorent et vont continuer à s’améliorer. La masse du contenu textuel dont ils disposent s’élargit chaque jour. Les mystérieux algorithmes qu’ils utilisent s’affinent. (C’est bon, j’ai placé « algorithme ». Mon texte a l’air sérieux. Il ne s’agit pas des crétines réflexions d’une littéraire sans aucune base mathématique.)
On lit de plus en plus de textes issus de la traduction automatique. Ils ne sont pas bilingues. Si on peut donc évaluer la qualité syntaxique de la traduction, on ne peut pas juger de sa fidélité au texte source.
Ainsi, lorsqu’on lit la phrase suivante, on peut se rendre compte qu’il y a un léger hic quelque part :
« Toto Magazine est publié sur une base bimensuelle, et est une source vitale de connaissances sur la langue de programmation Toto et les applications Toto pour les personnes qui en dépendent dans leur carrière professionnelle, ou qui aspire. »
Mais, finalement, on se dit tout de même que ce n’est pas mal. Après tout, on sait qu’on parle d’un magazine informatique. C’est déjà ça. On s’en contente. On ne blâme pas le moteur de traduction qui fait ce qu’il peut. On sourit avec bienveillance.
Dans ce contexte, lorsqu’on lit les phrases suivantes, on ne réagit pas :
« Elles bénéficient d’un chemin complet qui permet de visualiser les données de la même manière que le responsable ou les rapports qui récapitulent les informations. »
« MonApplication vous permet de voir dans le futur, d’évaluer le risque des départs et d’activer des analyses par simulation afin d’améliorer votre personnel. »
« Les actualités sont propres, mais l’outil peut également assurer le suivi illimité de plus de 50 000 expéditeurs. »
C’est bien du français. Les phrases sont grammaticales. Nous sommes satisfaits. Le problème est minime : ces phrases ne veulent rien dire.
Or, s’il est rare qu’un texte issu de la traduction automatique soit exclusivement composé de telles phrases, en revanche, elles émaillent toujours le texte, à proportion plus ou moins grande. On les élude, on les oublie, on passe à la suivante. Parce qu’on survole. Ou, encore mieux ! on lit en diagonale !
Qui n’a pas suivi aujourd’hui d’atelier de « lecture rapide », cette technique qui vise à accélérer la vitesse de lecture ? On en ressort en se targuant d’absorber un texte cinq fois plus vite qu’avant. Car le problème principal est qu’on est lent, on manque de temps. En lisant plus vite, on augmente la quantité de mots lus. Quant à leur compréhension, elle semble accessoire. On ne cherche pas à comprendre cinq fois mieux, on veut juste un vernis. Mieux qu’une technique de lecture, la lecture en diagonale est devenue la norme. Pour être au courant de l’actualité, on lit des articles en diagonale. Et on fait la même chose dans le cadre de son travail. Parce qu’il faut être efficace. Et dans cette notion d’efficacité, on ne conserve que l’idée de rapidité qui est pourtant absente de la définition du mot.
« pluie, dégâts, pompiers ». On parle d’inondations. Et puis, « Belgique ». Ah, c’est pas chez nous ; on passe.
« banque, épargne, taux imbattables ». On parle de crédit.
« hôtel, soleil, plage, tout inclus ». On parle de voyage au rabais.
« échéance, retard, projet lambda ». C’est bon, c’est pas mon projet, je peux jeter ce mail.
« retard, projet toto, équipe de consultants ». C’est mon projet mais c’est pas directement mon équipe, je transmets à l’équipe concernée sans aller plus loin.
Il est inutile d’approfondir la lecture, quelques mots bien choisis nous indiquent de quel sujet on traite.
Dans ce contexte, la langue Canada Dry de la traduction automatique est largement satisfaisante même si, en l’état actuel de son développement, il ne s’agisse encore que d’un ersatz de langue, du discours qui ne veut globalement rien dire. Mais comme on lit tout très vite, en diagonale, on s’en moque. On réagit encore un peu à de la syntaxe grammaticale fantasque mais lorsque le texte est lisible, peu importe ce qu’il veut dire. Le survol auquel on se livre ne peut même plus être qualifié de lecture rapide. On en est à la vitesse de la lumière.
En outre, les sites qui proposent ce service de traduction le font gratuitement. Et on aime la gratuité ! Quand on paie un service, on a les moyens de discuter de son niveau de prestation mais quand on nous l’offre gratuitement, on ne peut que remercier. Même s’il ne sert absolument à rien tellement il est bancal. Allez, pour le plaisir, un exemple réjouissant sur un site de réservation de transport aérien. On veut faire une réservation, on entre son lieu de départ et d’arrivée, ses dates et on clique sur Rechercher. Un message nous prévient alors : « Attention : sur ce trajet, un béret peut être attendu 7 jours avant le déchargement. » Tenons-nous le pour dit !