C’est dimanche, un dimanche particulier. C’est le dimanche de la finale de l’Euro de foot. Il est difficile d’y échapper car l’événement se déroule en France et l’équipe de France rencontre le Portugal en finale. Les Champs-Elysées se partagent entre les allumés vêtus, maquillés et drapés de bleu, blanc et rouge, les dingues, ornés de la même façon mais en rouge et vert, et les simples touristes qui assistent à cet étrange défilé. En cet après-midi ensoleillé, l’atmosphère est idiote mais bon enfant. Pour le moment, tous ces supporters s’entendent encore bien, ils sont tous persuadés que leur équipe va gagner. Forcément. Une finale remportée par les deux équipes, c’est monnaie courante. Une fois la partie terminée, tout le monde s’embrasse et va boire des jus de fruits en se tapant sur l’épaule. C’est comme ça que ça se passe habituellement.
Ça grouille donc de monde et ça fait du bruit, sur le trottoir et sur la route, car, pour cette occasion, qui ne sait pas où aller faire du bruit, pour exprimer son enthousiasme et son patriotisme sportif, se rend sur les Champs-Elysées. Voitures et camions, des fenêtres desquels sortent de gigantesques drapeaux, sillonnent l’avenue. Les klaxons des automobilistes sont acclamés par les piétons. Pour une fois, les deux groupes ne sont pas en guerre. Ce n’est pas le moyen de locomotion qui les caractérise et les opposent mais les couleurs qu’ils revêtent. Heureux les pauvres en esprit… Et tous ceux-là ont l’air particulièrement béats !
Mais pourquoi donc se rendre sur les Champs-Elysées un tel dimanche si on n’est pas amateur de foot ? En effet, la liesse générale sur la grande avenue est prévisible. Il ne faut pas tenter le diable. Eh bien c’est tout simplement parce que la finale n’est pas le seul événement exceptionnel de la journée. Ce dimanche, au cinéma Publicis du Drugstore, on passe, ce dimanche après-midi et uniquement ce jour-là, Sultan, le dernier film dans lequel joue Salman Khan. Et il sort en même temps qu’en Inde ! Ou presque, sortie le 6 juillet en Inde (le mercredi) et séance d’ouverture un peu décalée, le 10 (le dimanche), à Paris. De l’exclusif ! Il va y avoir du monde à se bousculer au portillon. La dernière fois qu’on a assisté à une telle séance, c’était pour voir Bajirao Mastani avec Ranveer Singh et Deepika Padukone. Rien que ça ! La queue était si longue qu’ils ont dû repousser le début du film d’une demi-heure pour faire entrer tout le monde.
Alors… Pour le caractère exceptionnel d’un tel événement, on veut bien braver les Champs. Je disais quoi déjà ? Heureux les quoi ?
Arrivés une demi-heure avant, on se positionne dans la file d’attente composée de Français et d’Indiens, un mélange de femmes et d’hommes, de couleurs de peau, de langues. Et finalement, il y a moins de monde que la dernière fois et la grande salle n’est pas comble. On est confortablement installés au milieu. Autour de nous, des familles, des saris, des couleurs, du monde. L’ambiance promet d’être bonne.
Les lumières se sont éteintes et la séance commence. Les bandes-annonces et les publicités défilent dans l’indifférence quasi générale. Tout le monde papote ou consulte son téléphone en attendant que le vrai spectacle arrive. Une clameur nous tire toutefois de notre conversation. Ça s’agite devant nous, on entend des cris d’excitation. Deux rangs devant, une personne se lève, entourée de plusieurs autres qui brandissent leur portable sur elle pour la photographier de près. Les cris de surprise et de joie se renforcent. Je scrute, je cherche à savoir qui cela peut bien être. C’est un Indien. Il est tout proche mais il est caché par les gens qui se pressent autour de lui. Puis, soudain, une trouée me permet de voir son visage. C’est dingue ! C’est Ranveer Singh en personne qui est avec nous dans la salle. Pour beaucoup de gens, ce nom n’évoque rien. Et pourtant… C’est un peu comme si Ryan Gosling était là ! Bon, peut-être qu’il n’est pas si connu, Ryan. Que son nom ne frappe pas tant les esprits. Alors, disons, Tom Cruise mais en beaucoup plus jeune. Tom Cruise au début de sa renommée. (Je ne vois pas d’acteur français qui pourrait provoquer le même type d’engouement…) Ranveer, c’est une étoile montante de Bollywood. Un beau gars souriant et sexy à souhait. Dans Ram Leela, une adaptation de Romeo et Juliette au Rajasthan, dans laquelle il incarne évidemment le héros, il fait une entrée fracassante et inoubliable, allongé sur une moto qui avance toute seule. Cette seule choré vaut de l’or ! Les biscoteaux et les déhanchements du garçon radieux vont jusqu’à faire se pâmer ses admiratrices qui le suivent du haut de leur balcon.
Ce sex-symbol est donc ici, devant nous, à saluer amicalement la salle qui l’a démasqué, vêtu du survêtement de l’équipe de France. Si ! Et le générique a commencé qu’il est encore debout. Va-t-on pouvoir suivre le film ou le spectacle va-t-il se dérouler dans la salle ? Il semble qu’il ne soit accompagné que d’une personne dont le physique ne correspond pas à celui d’un garde du corps. Un petit tour incognito dans une salle parisienne pour mater le dernier Salman avant de se rendre au stade de Saint-Denis ? Doublement heureux, notre Ranveer ?
Il finit par se rasseoir pour pouvoir, comme nous tous, regarder le film. C’est sympa de sa part. Le film est un Rocky à l’indienne. Salman n’y incarne pas un boxeur mais un lutteur. Il se met à la lutte par amour pour une lutteuse, devient le meilleur, la séduit et l’épouse. Malheureusement, grisé par le succès, il gagne en arrogance, néglige sa famille et ne pourra éviter, par son absence, que son fils meure à sa naissance (car lui seul pouvait le sauver). S’ensuit la déchéance. L’entracte, à Paris, est à peine marqué par un « Intermission » qui apparaît à l’écran et la deuxième partie suit sans réelle interruption. (Pas le temps d’aller faire pipi, d’acheter à grignoter ou de faire une photo de Ranveer…) L’ancien lutteur saisit alors une chance de se racheter en pratiquant la lutte dans un événement à grand spectacle où des gros bras s’affrontent dans des combats qui mélangent divers arts martiaux free-style. Il est le plus vieux mais les fracasse tous, empoche l’argent du concours et retrouve l’amour de son épouse. Ça, c’est fait. D’accord, c’est juste du divertissement mais ce gros nounours de Salman Khan est convaincant et on se prend au jeu. En outre, le film est parsemé de chansons et de chorés comme on les aime. Et enfin, l’apparition de la star à l’écran est acclamée par les vivats des spectateurs (y compris de ceux de Ranveer, jeune prince respectueux envers ses aînés), comme en Inde ! L’ambiance est au rendez-vous.
Aujourd’hui, en plus du plaisir de pouvoir admirer ces ballets colorés sur un énorme écran, on a droit à un plus de taille. En effet, dès les accords de la première chanson, Ranveer se lève et danse debout devant son siège. Plusieurs personnes le suivent, l’acclament, l’applaudissent. Bref, il est largement encouragé à poursuivre. Alors, fort de son succès, il quitte son siège pour monter sur la scène qui est placée devant l’écran et vient accompagner Salman dans sa danse.
Le succès est immédiat. Les téléphones portables fusent. Qui le filme, qui prend un selfie avec lui, qui le rejoint dans sa danse. Il est rapidement entouré d’un groupe de fans et il se laisse gentiment embrasser, enlacer, prendre en photo, en conservant un sourire radieux. Difficile de vraiment apprécier la performance des danseurs du film mais personne ne s’en plaint. Il finit par retourner se rasseoir à grand peine, au milieu d’une grappe de personnes. Son ami l’aide à s’en dégager pour, au moins, pouvoir respirer, puis retrouver son siège. La chanson terminée, la star de nouveau assise, ça se calme et le film peut continuer dans la tranquillité.
Ranveer a dû apprécier son bain de foule car, à la chanson suivante, il refait son sketch pour le plus grand plaisir de tous. Il court monter sur scène et appelle les premiers rangs à venir danser avec lui. L’homme n’a manifestement pas choisi son métier au hasard. Il aime la célébrité et semble être comme un poisson dans l’eau lorsqu’il est compressé, bousculé au milieu d’une foule qui l’adule. Moi, ça me ficherait la trouille, tout ces gens qui se colleraient à moi. Lui, il sourit son grand sourire de cake sympathique, arbore des lunettes de soleil de cake absolument inutiles dans cette salle noire et se déhanche comme un cake devant des centaines de personnes, à l’improviste, sans aucune gêne. Il est beau, il se montre, il est content. Et nous aussi, finalement. Le show est inattendu et bon enfant. On le filme. C’est rigolo.
Il quittera la salle en douce en début de deuxième partie. Il devait savoir que ça allait castagner et qu’il n’y aurait plus d’occasion pour lui de briller dans des chorés… Ou alors, il était attendu au stade ? De fait, la fin du film est un peu plus fade. Est-ce parce que j’ai du mal à garder les yeux ouverts devant les coups qui pleuvent ou parce que son départ a emporté la saveur des épices qu’il avait saupoudrées de façon tout à fait inopinée ?
Le retour à la lumière sur les Champs-Elysées est souriant pour toute la salle encore sous le charme de Ranveer. Vite, nous nous enfournons dans la bouche de métro pour ne pas voir ces bruyants supporters et filer à la maison insérer Ram Leela dans le lecteur de DVD ! Une après-midi avec Ranveer se doit d’être suivie d’une soirée avec Ranveer !