Le mariage des sciences

Les sciences collaborent pour mieux connaître nos caractères humains

L’être humain, son anatomie globale et, plus spécifiquement, son cerveau, nous livre peu à peu tous ses secrets. Il en va de même de nos gènes, de nos hormones, de tout ce qui nous constitue si intimement et qui se laisse entrevoir si lentement depuis des siècles. Aujourd’hui, enfin, les progrès de la science nous emmènent à pas de géants à notre rencontre. C’est par des biais inattendus que nous en venons peu à peu à mieux nous connaître, nous, les êtres humains qui, il y a peu, restions encore un mystère pour nous-mêmes.

C’est que, si la médecine et l’anatomie nous avaient depuis longtemps révélé comment nous étions faits, notre cerveau, lui, ne s’était pas laissé étudier aussi facilement. À présent, grâce aux technologies de pointe qui ne cessent d’évoluer mais aussi au nouveau melting-pot des disciplines, nous en savons beaucoup plus sur la façon dont nous fonctionnons, ce qui nous rassemble et ce qui nous distingue. Des études scientifiques, mais néanmoins originales, sont menées dans le monde entier. Il nous est apparu intéressant d’en mettre quelques unes en exergue dans cette compilation afin d’illustrer la diversité des domaines concernés.

Nous présenterons ici trois études qui sont le fruit de la collaboration d’équipes en sciences du monde naturel et en sciences humaines. Notre premier sujet portera sur un thème qui nous intéresse tous de près ou de loin : la cuisine.

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La cuisine s’élabore dans le cerveau

Dans un foyer biologiquement classique, constitué d’un homme et d’une femme, les tâches culinaires quotidiennes sont effectuées à plus de 92 pour cent par la femme. Les études menées sur les formes plus récentes de partenariat, « récentes » du point de vue de l’histoire de l’humanité, offrent des résultats plus contrastés. Toutefois, même dans ces cas, ces tâches sont assurées à plus de 55 pour cent par la femme, ce chiffre passant à 78 pour cent si l’on prend en considération l’acteur féminin du partenariat (même si ce dernier n’est pas une femme d’un point de vue strictement physiologique).

Ces chiffres s’expliquent grâce à une recherche menée par un laboratoire de San Diego, basée principalement sur l’utilisation multimodale d’une nouvelle génération d’outils d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) et de tomographie par émission de positons (TEP). Il apparaît que les multiples activités liées à la création d’une recette de cuisine, ainsi qu’à sa réalisation, se situent dans une zone toute proche de l’aire de Broca, dans l’hémisphère gauche du cerveau. Or, naturellement, cette zone est plus étendue chez les femmes que chez les hommes. De fait, elles sont ainsi, en quelque sorte, mieux programmées pour cuisiner. Ce laboratoire nous démontre que les femmes sont plus aptes à varier les recettes au quotidien, à faire les courses, à s’organiser pour préparer un repas composé de plusieurs plats.

Toutefois, il s’est également dégagé que chez certains sujets hommes, cette zone du cerveau, nommée en interne dans le laboratoire cooking area, si elle reste moins volumineuse, est particulièrement développée, pour ainsi dire plus « musclée », c’est le terme qu’a choisi l’équipe pour définir le phénomène. Il ne s’agit pas réellement d’un développement musculaire, bien entendu. En réalité, l’activité neuronale dans cette aire, chez ces sujets, est très intense et, de fait, ce sont tous de très bons cuisiniers. Comparativement, ce sont même de bien meilleurs cuisiniers que les sujets femmes étudiés, car ils font montre de plus de créativité et de dextérité. Ces résultats expliquent pourquoi les grands chefs cuisiniers sont des hommes. Certes, le cerveau de ces derniers n’a pas fait l’objet d’une étude spécifique dans le cadre de cette recherche mais il y a fort à parier que leur cooking area est bien entraînée !

Fort de ces résultats, ce laboratoire de San Diego a poursuivi ses études en partenariat avec plusieurs équipes de chercheurs du monde entier. Ils sont parvenus à démontrer que la proximité de leur cooking area avec l’aire de Broca n’était pas une coïncidence. Ces deux zones se touchent et même, parfois, se recouvrent en partie. Or, cette fameuse et très ancienne aire de Broca est la zone de traitement du langage. Nos chercheurs ont donc voulu étudier l’interaction entre la langue et la cuisine. Ces recherches ont rapidement dépassé le domaine de la linguistique uniquement pour prendre en considération les facteurs géographiques, culturels, voire même nationaux. Pour cela, ils ont mis en œuvre les mêmes outils que pour leur première étude mais à une échelle plus vaste et en faisant appel également à des spécialistes des sciences humaines (linguistes, sociologues, ethnologues, économistes, etc.). Les divers laboratoires ont mis en place, dans leur pays respectifs, des équipes pluridisciplinaires qui ont travaillé simultanément chacune de leur côté, se rencontrant périodiquement pour comparer leurs résultats et échanger leurs avis sur leur interprétation.

La fonction de la cooking area a été très largement corroborée par la compilation de leurs conclusions et cette nouvelle zone pourrait très prochainement trouver sa place dans la cartographie du cerveau. Grâce à cette étude très sérieuse, nous savons à présent pourquoi on cuisine mieux dans certains pays que dans d’autres ! Sans entrer dans les considérations techniques qui sous-tendent ces conclusions (mais qui sont accessibles sur les sites des différents laboratoires ayant participé aux recherches), nous livrons quelques extraits édifiants.

La cuisine italienne est mondialement appréciée. Ce n’est un secret pour personne. Pourtant, elle reste d’une grande simplicité, elle allie en règle générale un nombre d’ingrédients réduits, elle ne fait pas appel à des épices spécifiques à son territoire géographique, elle ne requiert aucun instrument complexe. Alors pourquoi un tel succès ? Et pourquoi ne parvenons-nous pas à rivaliser avec les cuisinières italiennes ? Pourquoi un banal plat de pâtes est-il toujours meilleur quand il est confectionné par un Italien ?

Il a été démontré que dans la cooking area des sujets italiens participant à cette étude, une toute petite partie, déjà nommée Little Italy par nos experts, est particulièrement vivace. Chez ces sujets, l’activité cérébrale à cet endroit, déjà importante lorsqu’ils se mettent aux fourneaux, peut être directement qualifiée de fébrile lorsqu’ils font cuire des pâtes, pour atteindre son niveau maximal au moment précis où ils doivent les sortir de l’eau afin d’obtenir une cuisson al dente parfaite. Nos chercheurs soupçonnent qu’une forme d’alerte est transmise mais ils n’ont pas encore trouvé comment elle fonctionne. Toutefois, ils ont constaté que l’activité cérébrale se calme légèrement dès qu’ils ont sorti les pâtes de l’eau. Le point culminant atteint, l’action requise effectuée, la tension se relâche. Pas complètement car le travail n’est pas fini mais, au moins, le point crucial a été franchi.

Une étude plus détaillée est en train de dessiner plus précisément les diverses zones liées à la préparation de la pizza et de la sauce tomate, et à la confection du parmesan. Little Italy n’aura bientôt plus de secrets !

Les équipes installées dans d’autres pays ont révélé des zones similaires, plus ou moins développées. La recherche, à San Diego, s’est plus spécifiquement axée sur Little Italy car elle était emblématique de cette découverte culinaire tant la force des signaux était grande. Mais cette ouverture est renforcée par les autres résultats qui ont tous tendu vers une même conclusion. L’activité cérébrale dans la cooking area est intense lorsque le sujet étudié cuisine et ce, quelle que soit sa nationalité. Et toujours une constante : la zone est plus étendue chez les femmes.

Par ailleurs, d’autres équipes internationales se sont penchées sur le goût. En effet, des statistiques montrent que notre attrait pour le sucré ou le salé, pour certains fruits et légumes ou certaines épices, est lié à notre localisation géographique, à notre environnement familial mais, surtout, qu’il est intrinsèquement lié à notre caractère, à notre personnalité. Ainsi, une inclination pour les pâtes, pour reprendre notre premier exemple, ou pour la bière, est ancrée dans notre cerveau. Où donc ? Dans notre cooking area ! Il est évident que savoir cuisiner et aimer la cuisine sont deux choses bien distinctes, sinon tous les gourmets seraient de grands chefs et le sujet n’aurait pas besoin d’être étudié tant il tomberait sous le sens. Les résultats ne sont pas si tranchés, ils révèlent simplement que ces deux caractéristiques sont liées. Ce n’est donc pas un hasard si les Italiens, qui aiment les tomates, savent si bien les transformer en sauce.

L’équipe allemande, par exemple, installée à Munich, pense avoir repéré la place réservée à la bière chez les Allemands. Elle reste plus réservée car, dans ce cas précis, elle ne peut pas associer le goût pour l’aliment à sa confection, comme pouvait aisément le faire l’équipe italienne. Un complément d’étude sur une population plus ciblée de brasseurs va donc être mené afin d’étayer ces conclusions. Toutefois, il est incontestable que les plats à base de saucisse et de chou ont leur emplacement bien marqué dans la nouvelle zone identifiée. Plus prosaïques, nos amis Germains les ont appelées Area 1 et Area 2.

De même, chez les équipes asiatiques, les zones associées au riz chez les Chinois et chez les Japonais et celles consacrées à la découpe et à la préparation du poisson cru, chez les Japonais, sont à présent cartographiées. Les chercheurs collaborent dans un projet destiné à expliquer les différences dans la cuisson du riz en Chine et au Japon. Projet qui devrait être étendu, par la suite, à la Thaïlande.

Personne ne sera étonné d’apprendre que la cooking area ne tient pas une place de choix dans le cerveau des Anglais, et même dans celui des Anglaises. Mais là encore, tout s’explique ! Les Anglais ne sont pas à blâmer, ils souffrent tout bonnement d’une atrophie de la cooking area. En effet, cette aire, dans leur cerveau, est sensiblement moins volumineuse que celles de tous les autres sujets étudiés. Ils souffrent de ce qu’on pourrait appeler vulgairement un handicap génétique. Même leur goût pour la bière n’est pas à mettre au même niveau que celui des Allemands. En effet, cette zone s’active sensiblement uniquement lorsqu’une certaine quantité de bière, au moins trois pintes, est absorbée. Peu importe sa qualité ou son type, l’effet cérébral est identique, seul le volume compte. L’équipe reste toutefois réservée et envisage de cibler son étude sur des supporters de foot, espérant obtenir des résultats encore plus probants.

Le projet n’est pas neutre. En effet, des expériences spectaculaires ont déjà été menées sur des rats anglais. Les résultats seront publiés dans les semaines à venir. Les chercheurs ont nourri un échantillon de rats, aussi bien des mâles que des femelles, à la bière et aux chips pendant plusieurs semaines. Les rats ont montré un goût prononcé pour la bière, surtout les mâles. Une fois l’habitude instaurée, on a procédé à l’ablation de la beer zone, comme elle est déjà nommée, de la cooking area. L’effet a été immédiat. Les rats se sont instantanément désintéressés de la boisson et ont préféré boire de l’eau. Les perspectives d’une telle découverte sont vastes. Nous pouvons en effet imaginer sans problème les bienfaits d’un psychotrope qui aurait un pouvoir anesthésiant sur cette zone. En outre, si elle ne concernait pas uniquement la bière mais tous les types d’alcool – le laboratoire français axe actuellement ses expériences sur le vin -, sa découverte révolutionnerait la recherche sur l’alcoolisme.

Chez les Américains, dont la population est constituée de diverses strates d’immigrés issus d’origines variées, les résultats sont, on pouvait s’y attendre, beaucoup plus contrastés. La même zone cérébrale a été identifiée et son volume se situe dans la moyenne. Ainsi, l’apport de cultures et de langues hétérogènes et leur intégration originale (si on la compare à l’Europe) a eu tendance à niveler les différents types de cuisine. Aucune n’a su tirer son épingle du jeu, même pas l’italienne, et n’en est ressortie prépondérante. Aucune tradition gastronomique, révélatrice de cette mixité, n’a été créée. Cependant, ce nivellement leur a permis de créer une alimentation qui, si elle n’est pas culinairement exceptionnelle, s’est révélée tellement adaptée à l’ensemble de la population mondiale, qu’elle s’est généralisée dans le monde entier. Nous en voulons pour preuve la popularité des hamburgers et des fast-foods à l’échelle planétaire.

Ces résultats passionnants, présentés à la conférence de Libreville, ont su susciter l’intérêt des nombreux scientifiques invités, issus des domaines les plus divers. De nouveaux pôles d’études ont vu le jour et de nouvelles équipes ont été rapidement mises en place. Ainsi, dans les zones où règne la malnutrition (notamment en Afrique où se tient la conférence), il a été révélé que la cooking area est souvent atrophiée et parfois même totalement absente. Cette découverte inattendue expliquerait même que les populations ne sachent pas cultiver correctement les terres à disposition. L’étape suivante dans la recherche consisterait à trouver un moyen de « muscler » cette zone afin non seulement de développer le goût de la nourriture chez ces populations mais, de façon plus optimiste, de lutter contre la faim. Un partenariat avec les grandes ONG qui interviennent sur le continent est déjà en passe de voir le jour. Les débouchés de ce nouvel axe d’études sont extrêmement prometteurs.

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Notre langue maternelle et nous

La découverte de la cooking area dans le cerveau et les conclusions tirées par les diverses équipes ont ouvert la voie à des études connexes. Nous pouvons d’ores et déjà mentionner, même si les résultats ne sont pas encore annoncés, que des recherches plus approfondies sur Little Italy, qui se situe à la frontière de l’aire de Broca, la recouvre parfois entièrement et que, dans ces cas, les liens entre cuisine et langue maternelle sont très forts. Les linguistes ont pris le relais et nous livreront bientôt leur avis d’expert.

Depuis très longtemps, les linguistes étudient les langues, leurs interactions, leur grammaire, leur évolution ; toutefois, la nouvelle tendance à interconnecter les disciplines leur a ouvert des perspectives de recherche. Les connaissances récentes sur le cerveau ont orienté les groupes de recherche constitués vers une analyse des liens entre la langue maternelle et des aspects que nous qualifierons de « plus humains » que le milieu social. Ce dernier est souvent mis en avant dans l’étude du vocabulaire actif d’un type de population, d’un jargon spécifique ou d’un niveau de langue. Il est en effet commun de relier la langue et son usage à l’environnement socio-économique. Il en résulte généralement des conclusions que seuls des experts savent apprécier.

Aujourd’hui, le biais qu’ont pris les nouvelles recherches est plus à même d’obtenir des résultats directement compréhensibles par les béotiens que nous sommes. Les zones du cerveau mises en relief ne sont pas encore révélées car nous n’en sommes pas à un stade aussi avancé que dans les études portant sur la cuisine. Nous savons également que des généticiens et des sociologues ont été intégrés aux équipes. Leurs recherches expliquent les tendances naturelles de divers peuples par la langue qu’ils parlent. Pour le moment, les équipes se sont attachées aux langues européennes les plus importantes et à quelques langues asiatiques. Le panel des langues étudiées augmentera bien entendu une fois que le fondement scientifique de ces conclusions sera pleinement avéré.

Tout naturellement, les études se sont penchées en premier lieu sur l’anglais, la langue des communications internationales par excellence. Les équipes ont mis à jour qu’elle était la langue naturelle du business et sa prépondérance le prouve. Le rôle du français comme langue du commerce ne s’est pas maintenu au cours de l’histoire car ce dernier n’était tout bonnement pas fait pour ça. L’anglais est une langue efficace. Ses mots sont plus courts. Elle permet d’aller à l’essentiel, en peu de mots. En outre, elle est également naturellement adaptée à la taille des écrans qui font aujourd’hui partie de notre quotidien, et qui ont vu leur dimension se réduire de décennie en décennie. De nos jours, ce n’est même plus sur un ordinateur qu’il faut faire passer un message mais sur un téléphone. Or, l’anglais, là encore de façon tout à fait naturelle, est le mieux adapté !

Les personnes dont la langue maternelle est l’anglais – en l’occurrence, l’étude a porté majoritairement sur des Anglais et des Américains – sont naturellement plus pragmatiques. Elles sont mieux armées pour analyser et régler les problèmes quotidiens d’une entreprise, elles savent mieux gérer les comptes et les activités commerciales. Les détails linguistiques ne seront divulgués que dans la littérature spécialisée car, nous l’avons déjà fait remarquer, ces considérations sont rapidement rébarbatives pour les non initiés, mais nous pouvons noter deux exemples probants. Le premier est la fréquence des verbes à particules (très peu utilisés dans une langue comme le français, par exemple) qui offre une souplesse et une adaptabilité favorisant l’efficacité du raisonnement et permettant la prise de décision rapide. Il s’agit de verbes tels que give, put, bring, etc. auxquels on adjoint une particule qui change leur sens (up, down, off, on, in, out, etc.). Le second exemple est l’absence de signe diacritique car l’anglais n’a pas à marquer de particularité phonétique ou autre, ce qui est encore une supériorité sur les autres langues à écriture alphabétique. Un signe diacritique est un élément ajouté à une lettre pour en changer sa valeur, tel qu’un accent ou une cédille. Or, non seulement ces éléments rendent difficiles l’écriture mais, de plus, ils complexifient la saisie du texte au clavier qui doit être adapté afin que ces éléments puissent être assez aisément intégrés. Leur présence dans les autres langues utilisant l’alphabet latin a créé une non-standardisation dans les claviers informatiques qui, sinon, pourraient tous être identiques au clavier anglais.

Pour rester dans la famille des langues germaniques, l’allemand a également fait l’objet d’une étude. Sa structure révèle une propension à l’efficacité du raisonnement logique. En revanche, elle ne favorise pas la rapidité. La formation de termes complexes en agglutinant plusieurs mots permet la créativité au niveau du vocabulaire et une souplesse qui offre une grande variété de nuances mais elle génère des termes parfois excessivement longs qui sont un frein à l’efficacité analytique. Ainsi, les Allemands ont naturellement les armes nécessaires pour analyser correctement une situation mais ils n’obtiendront jamais les performances des anglophones natifs. En outre, le désavantage de la longueur des mots est évident pour l’affichage à l’écran. Seule une évolution artificielle de la langue, par exemple par un raccourcissement imposé du vocabulaire ou l’interdiction de juxtaposer plus de deux termes pour en créer un nouveau, pourrait pallier cette faiblesse.

L’étude approfondie de la phonétique de l’allemand, et plus particulièrement de son intonation a mis en évidence que cette langue convient parfaitement aux ordres et même aux injonctions. La qualité orale des voyelles allemandes, l’absence de nasalisation, le rythme de la phraséologie et, surtout, l’intonation se conjuguent pour créer un médium de communication univoque : le locuteur 1 s’adresse au locuteur 2 qui s’exécute. En allemand, les intonations déclaratives et impératives sont particulièrement claires et fortes, notamment parce que, dans la phrase verbale, l’accentuation principale est particulièrement marquée. Ce qui peut ressembler à un accent d’insistance dans une autre langue est un accent normal, moyen chez le locuteur allemand. Nous avons en tête le fameux « Achtung » des films de guerre. Ce n’est pas un hasard si cette expression est tellement utilisée, elle a en effet fortement frappé les esprits par la force de son intonation.

Ce sont les généticiens qui ont pris la tête de ce groupe d’études. Ils ont mis en évidence chez les germanophones la présence d’un allèle (la variante d’un gène), l’allèle de l’injonction. Ainsi, les locuteurs allemands savent utiliser leur voix de façon tout à fait intuitive, la placer à un niveau sonore légèrement plus élevé que la moyenne mais restant situé sous le niveau du cri, afin d’attribuer un caractère injonctif à leurs propos. Lorsqu’ils se trouvent dans la position du destinataire du message, ils reconnaissent l’ordre et s’y soumettent sans problème et sans effort tant ce type de communication leur est familier. Il en résulte des relations de hiérarchie harmonieuses et pas uniquement dans un cadre militaire comme on pourrait le croire mais également dans les cadres professionnels et familiaux. Cette propension à imposer l’autorité et à l’accepter permet la mise en place d’une discipline hors pair. Les équipes travaillent à approfondir leurs connaissances de cet allèle car la possibilité de son implantation, dans les populations latines par exemple, pourrait avoir un impact extrêmement bénéfique sur l’organisation économique de pays fréquemment soumis à des perturbations sociales qui entravent leur progrès économique.

Ces mêmes équipes se sont tournées également vers les langues latines, plus particulièrement le français et l’italien. Ces deux langues sont très proches. Pourtant, si elles présentent des similitudes dans leur structure, qui se reflètent dans le caractère voisin de leurs locuteurs, elles se distinguent clairement de la façon suivante : l’italien est la langue du chant, le français celle de l’amour. La structure grammaticale latine de l’italien, la variété de ses accentuations toniques (jusque dans ses conjugaisons), les consonnes utilisées et leur redoublement fréquent concourent à la création d’une langue dite « chantante ». Dans le même ordre d’idée que pour l’allemand, et devant les résultats encourageants, les généticiens ont recherché un fondement génétique à cet état de fait et ont repéré l’allèle du chant chez les Italiens.

Quant au français, sa structure grammaticale, son accentuation plane, ses voyelles arrondies sont des paramètres qui rendent cette langue particulièrement adaptée au discours amoureux. Tout portait donc à croire qu’on pouvait trouver, dans le patrimoine génétique des Français, un écho à ces caractéristiques linguistiques. L’allèle de l’amour ne s’est pas encore laissé démasquer mais les équipes sont sur une piste suffisamment encourageante pour qu’elles commencent à l’évoquer. Dans le cas du français, les résultats de ces études sont corroborés par les nombreux sondages effectués dans tous les pays du monde. Le français est reconnu comme la langue la mieux adaptée à l’amour. Le thème intéresse non seulement les chercheurs mais la grande majorité du commun des mortels. Il y a fort à parier que nous pourrons très prochainement consacrer la totalité d’un article à cette percée dans le monde tout nouveau de la génolinguistique.

À l’heure actuelle, seules certaines langues européennes ont été étudiées de façon poussées. Un pool de recherche a entrepris d’obtenir une vision génolinguistique du chinois qui s’est révélé être une langue non harmonieuse et excessivement complexe. Il est même possible que cette langue, de par ces caractéristiques, ne soit pas réellement un langage humain « naturel ». Il pourrait s’agir d’un dysfonctionnement.

Il n’est pas envisagé de mettre à l’étude les langues d’évidence minoritaires (les langues africaines, par exemple, et les milliers de langues dont le nombre de locuteurs est très faible) car leur incapacité à s’imposer sur une partie conséquente du globe prouve, de fait, leur manque d’efficacité. En revanche, d’autres grandes langues seront bientôt à l’étude.

De toutes les langues étudiées, la mieux adaptée est objectivement l’anglais. Avec une simplification de son orthographe, encore trop fortement archaïque, l’anglais doit pouvoir aisément s’imposer comme langue véhiculaire dans le monde entier. L’avantage d’une langue commune simple pour les relations politiques et économiques est indéniable. L’anglais avait déjà une place de choix dans le monde mais la fulgurante croissance économique de la Chine était en passe de la remettre en cause. Or, ces nouveaux axes de recherche scientifique pourraient venir mettre un frein à l’engouement pour le chinois que connaissent les pays occidentaux. Nous attendons avec impatience le résultat des recherches sur l’espagnol et le japonais, les deux prochaines langues sur la liste.

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Le sport mieux adapté

La compétition sportive s’étant fortement développée et professionnalisée depuis longtemps, la science a été intégrée à cette activité afin d’améliorer encore et toujours les performances. On conçoit des vêtements dans des matériaux innovants, on allège et on solidifie les équipements, on booste les chaussures, on connecte les athlètes à toutes les données qui peuvent leur permettre d’opter pour des stratégies gagnantes… La liste des pôles étudiés est longue. Les technologies sont tellement efficaces qu’elles suscitent des polémiques sur les avantages injustes qu’elles provoquent chez certains compétiteurs. La recherche médicale est évidemment très présente, tout en restant extrêmement prudente car les limites du dopage sont aisément franchies en cette matière.

À Bangalore, un groupe d’études, rassemblant principalement des généticiens et des chercheurs en endocrinologie, mais également des sociologues et des historiens du sport, s’est penché sur la pratique du sport en compétition dans leur pays, l’Inde. Cet immense pays, la sixième économie mondiale par son PIB, le deuxième derrière la Chine par sa démographie (ayant également dépassé le milliard d’habitants), connaît une croissance économique galopante. Or, ce géant brille par son absence dans les compétitions sportives internationales. Cette assertion n’est pas tout à fait juste car elle a sa place dans des sports pratiqués dans les pays du Commonwealth, tel que le cricket ou le hockey sur gazon. En revanche, elle n’a pas d’équipe de football de niveau international et reste pratiquement inexistante aux Jeux Olympiques.

Les facteurs explicatifs d’une telle situation seraient en partie historiques selon les historiens du groupe de recherche. En effet, la caste religieuse qui exerce le pouvoir dans le pays privilégierait tant la domination de l’esprit sur le corps qu’un réel programme national de centres sportifs destinés à la création de champions n’aurait jamais été sérieusement envisagé. Les études sont mises au premier plan dans l’éducation des jeunes, largement devant n’importe quelle autre activité. Par ailleurs, les seuls sports qui ont été favorisés sont les sports populaires au Royaume-Uni, pays qui a dominé l’Inde pendant près de deux siècles. Or, et c’est là qu’entrent en scène les autres experts du groupe, les Indiens n’excellent pas naturellement dans ces sports. Certes, grâce à l’émulation, au nombre de pratiquants et au niveau d’entraînement, des équipes de très haut niveau peuvent voir le jour, mais il n’en reste pas moins que les athlètes pourraient obtenir de bien meilleurs résultats dans d’autres sports.

Il a été clairement déterminé qu’il existe des variations génétiques plus favorables que d’autres pour la pratique de certains sports. Au départ, les recherches génétiques, incorrectement orientées car axées sur une approche classique de la génétique, n’ont pas permis d’expliquer ce déficit sportif des Indiens. Par la suite, une recherche sur le profil polygénique des Indiens, menée sur des sujets issus de toutes les régions du pays, par des spécialistes de la génétique prédictive, a permis de cibler les compétences spécifiques selon le sexe et la situation géographique. Cette étude a été combinée à une nouveauté en matière d’hormones. En partenariat avec un centre de recherches de Düsseldorf, l’équipe de chercheurs a découvert « l’hormone de l’activité physique adaptée ». Il est important de noter ici que ces recherches tout à fait novatrices divergent de celles qui avaient été menées sur l’irisine, « l’hormone de l’exercice physique », qui n’étaient pas fondées, elles, sur des échantillons de tests fiables. L’irisine était censée être transmise des muscles à la graisse et ordonnait à cette dernière d’être brûlée ; les résultats de ces études étaient orientés vers la lutte contre l’obésité.

Dans le cas de ces nouvelles recherches, il a été observé que le niveau de cette hormone de l’activité physique adaptée augmente en fonction de facteurs variés. En outre, elle varie selon le sexe. Nous sommes donc en présence de deux hormones principales : la spécisportine X pour les femmes et la spécisportine Y pour les hommes. Le nom des sous-variantes dépendant des autres facteurs n’a pas encore été publié. Son niveau varie également en fonction de l’environnement géographique des individus et du climat (température, pluviométrie).

Les tests ont été effectués sur un grand nombre de personnes, plus particulièrement chez les jeunes, dans toutes les catégories sociales et dans tous les états de l’Inde afin que le panel soit représentatif. Le bilan ayant été inattendu, l’équipe a contacté plusieurs laboratoires d’autres pays afin de conduire des tests similaires sur leur population locale. Ainsi, il est apparu que les kényans sont parfaitement adaptés à la course à pied d’endurance, que les brésiliens sont faits pour le football et les norvégiens pour le ski de fond. Les résultats annoncés portent principalement sur les hommes car ils sont beaucoup plus nets que ceux relatifs à la population féminine, manifestement moins encline de façon innée à la pratique sportive que la population masculine.

En ce qui concerne l’Inde, il ressort quatre grands sports de prédilection, c’est-à-dire, quatre sports pour lesquels la population de l’Inde est le plus naturellement adaptée. Au nord du pays, plus spécifiquement, au nord de la frontière linguistique du hindi (langue indo-aryenne), il s’agit du ski pour les hommes et du patin à glace pour les femmes. Au sud de cette même frontière linguistique (dans la zone des langues dravidiennes), il s’agit de la planche à voile pour les hommes et de la natation synchronisée pour les femmes.

Jamais ces conclusions n’auraient pu être imaginées car, même si le nord de l’Inde ne manque pas de montagnes enneigées, les infrastructures adaptées à la pratique du ski sont totalement inexistantes. Il en va de même au sud ou les plages ne sont exploitées que pour la baignade des touristes. Ainsi, dans ce cas précis de l’Inde, le penchant naturel de la population a été freiné par l’absence de conditions adéquates, qui n’ont jamais été mises en place sous la domination des Britanniques dont l’intérêt reposait dans l’expansion des sports historiques pratiqués sur leur territoire national.

Le gouvernement indien, par le biais de son ministère du tourisme, a été un partenaire de la première heure de ces recherches. Lorsque les résultats seront validés, les débouchés de développement seront colossaux car la situation économique actuelle du pays peut permettre la création de l’environnement nécessaire à une génération de grands champions. La construction de stations de sport d’hiver, de patinoires et de bassins olympiques aurait le triple avantage de favoriser l’entraînement d’athlètes de haut niveau, l’éducation des enfants (natation) et le tourisme (stations de ski et centres balnéo-sportifs). Car il est bien évident que ces seuls résultats ne peuvent pas hisser l’Inde au rang de numéro un mondial du sport dans les années qui viennent sans les infrastructures requises et sans un environnement socio-économique adéquats.

Nous pouvons supposer sans grand risque d’erreur que ces études ne vont pas laisser la totalité de la classe politique indifférente. Ces beaux débouchés de développement touristique en perspective, associés à une jolie moisson de médailles, représentent un espoir certain. L’Inde tient entre ses mains la possibilité d’obtenir la place qu’elle mérite dans le sport mondial, en développant un nouveau pôle économique. Saura-t-elle prendre ce virage que les scientifiques lui offrent sur un plateau ?

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Les trois pôles d’étude rapidement brossés dans cet article ne sont que quelques exemples parmi ces centaines, choisis parce qu’ils sont aisés à comprendre et qu’ils intéressent une grande majorité de la population. Les terrains de recherche de toutes les sciences qui étaient déjà inépuisables deviennent ainsi infinis ! La collaboration interdisciplinaire représente l’avenir du monde de la science, de la recherche et des études en général. Déjà, les applications issues de telles découvertes scientifiques commencent à voir le jour. Les surprises qu’elles nous réservent ne vont cesser de nous fasciner.

Alors ? Qu’en pensez-vous ? Les sérieux chercheurs ne vous ont-ils pas confortés dans certaines de vos certitudes (voire toutes) ? Si c’est le cas, ils ont gagné ! Que leurs études soient étayées ou pas, qu’elles soient sérieuses ou pas, bien relayées par les médias, elles peuvent s’assurer un avenir durable. Elles fournissent de la matière labélisée « scientifiquement prouvée » qui réconforte. Si vous n’êtes pas italien, n’essayez pas les pâtes al dente, vous n’y arriverez pas, ce n’est pas inscrit dans vos gènes. Et si vous êtes français, j’espère que vous n’avez pas cru à un traitre mot de ce recueil d’affabulations.

2 commentaires

    1. Je vois que tu as lu toi aussi cet article très intéressant de la revue Hard Sciences Are Hard! Passionant, n’est-ce pas ? Ils envisagent de poursuivre leurs tests sur les chevaux. Je me demande ce que ça va donner…

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