La coupe est pleine

Pourquoi tenter des expériences étranges ?… Elle m’intriguait depuis un moment mais… tout de même… à l’orée de la ménopause, est-ce bien nécessaire ? Je n’en aurai bientôt plus besoin. Oui mais quand sera-t-elle réellement installée, la satanée ménopause ? Je peux attendre encore quelques années, dans une sorte de purgatoire aux flux erratiques, quelques années seulement mais quelques années encore.

Ce corps ne cessera donc jamais de me rappeler que je suis une femme et que je ne peux pas l’ignorer ? Il me semble toujours que lorsque je veux m’y intéresser, il ne faut pas, et lorsque je veux l’oublier, il faut que je m’y intéresse.

J’ai quarante-neuf ans, des règles qui commencent à ne plus suivre leur modèle rythmique, une humeur qui subit des variations aussi désordonnées, et l’envie de tester une nouvelle protection périodique. C’est une vraie nouveauté pour moi alors que les premiers brevets datent de 1930… Toutefois, la généralisation de son utilisation est beaucoup plus récente et j’en entends parler de plus en plus fréquemment. Elle remplace avantageusement le tampon car elle est moins onéreuse et plus écologique. Elle est donc terriblement à la mode, j’en conviens, la fameuse coupe menstruelle, la coupe, la coupelle, la Mooncup, la cup !

J’y songe depuis quelques mois mais ça m’agace d’aller l’acheter dans un Coop bon ton de l’est parisien. Je me sens profondément ridicule dans ces magasins où tout est bio, bon pour la santé, bon pour le monde, bon pour la planète. Les emballages, s’ils sont terriblement naturels, restent très bien léchés, les formes et les couleurs bien pensées pour attirer la cible. On n’utilise pas le carton maronnasse ou le tissu rugueux par hasard. On attire le chaland. D’une manière moins ouvertement glamour que dans un élégant grand magasin ou dans un supermarché classique car le consommateur visé n’est pas le même (en apparence) mais la démarche est la même. On veut vendre, et pour vendre mieux et plus cher, on ne lésine pas sur l’attractivité du produit. Les polices de caractères irrégulières imitant le manuscrit, les fleurettes malhabilement dessinées dans les angles des étiquettes, le beige et l’écru qui prédominent ; ces attributs ne sont pas imposés par l’indigence de petits producteurs tout juste capables de fournir un produit brut, sans fioritures inutiles. Ils sont aussi mûrement réfléchis que ceux d’une canette de Coca-Cola.

C’est bien fait pour moi ! J’aurais pu aller la chercher dans une banale pharmacie. Alors, puisque j’ai franchi la porte du magasin bio en pleine conscience, je ne vais pas me plaindre, à présent. J’ai voulu m’assurer que ma coupe, qui allait passer un certain temps logée dans mon vagin, ne soit pas faite en n’importe quelle matière. Alors que, bizarrement, il y a peu de temps que je me suis posé la même question sur les tampons… Et je n’aurais peut-être pas dû. Ça fait peur… Raison de plus pour passer à la coupe ! Elle, elle est faite en silicone et, paraît-il que ses composants sont plus sains. Allez, j’ai envie d’y croire (même si je suis persuadée que, dans dix ans, on dénoncera à hauts cris les dangers du silicone).

Je trouve l’article sans difficulté dans le magasin. Ça coûte la bagatelle de trente euros (mais ça doit avoir une durée de vie de dix ans) et je suis confrontée à la première surprise : il y a des tailles ! J’aurais dû y penser puisqu’il y a aussi des tailles de tampons, petits, moyens ou grands. Oui, mais là, il n’y a que deux tailles : 1 et 2. Laquelle est dite « normale » ? La 1 ou la 2 ? La coupe est présentée dans un sachet en tissu, entouré d’un carton-étiquette. L’extérieur indique la taille et le pays de fabrication (Made in France !), l’intérieur (non visible) contient les instructions d’utilisation. À l’arrière, heureusement, on y trouve l’explication des tailles. J’ai cru un instant qu’il me faudrait connaître la longueur de mon vagin et je dois avouer que je n’en ai pas la moindre idée ! (Et je ne vois pas non plus quel instrument me permettrait de le mesurer… Un mètre ruban ou un mètre pliant en silicone ?) C’est en réalité plus simple. La taille 1 est destinée aux flux légers et à celles qui n’ont pas accouché par voie basse, la 2, aux flux moyens et importants, et à celles qui ont déjà accouché par voie basse. Et pour les flux moyens de celles qui n’ont pas accouché par voie basse ? La taille 1,5 ? Je jette un œil autour de moi à la recherche d’une conseillère potentielle et j’avise uniquement un jeune barbu à la caisse qui ne me semble pas pouvoir être d’un grand secours. Je me garde donc de lui poser la question et j’opte pour la taille 1. On verra bien.

Le premier pas est franchi, j’ai acheté la coupe. Il ne me reste plus qu’à l’utiliser.

Arrivée à la maison, j’inspecte la chose. On dirait une petite cloche en silicone, terminée par une petite tige d’un centimètre environ. Pas si petite que ça finalement. Les instructions ne sont pas inutiles. Elles expliquent qu’avant de l’utiliser, il faut commencer par la stériliser ; dix minutes dans une casserole d’eau bouillante font l’affaire. Ça va, c’est facile. C’est facile mais il faudra le faire à chaque début et à chaque fin de cycle. Je ne me rendais pas bien compte. Ça veut dire qu’il faudra que je sois à la maison quand je la mettrai, parce que c’est tout de même plus pratique. Si je suis au bureau, comment faire ? Et en voyage ou tout simplement pas chez moi ? Chez quelqu’un ou à l’hôtel, je n’envisage pas de monopoliser la cuisine pour stériliser ma coupe. En voyage, dans les endroits bien cracra où je traîne parfois mes guêtres, je l’imagine encore moins. Voilà qui calme mon enthousiasme. Je ne vais pas tout de suite me débarrasser des tampons qui ont encore quelques beaux jours devant eux. La conversion à la protection écolo se fera progressivement.

À part ça, elle a l’air facile à placer. On la plie, on l’insère (pas trop loin), et on passe son doigt autour pour qu’elle adhère comme une petite ventouse. C’est tout. Au bout de quelques heures, on la vide et on la remet en place. À la fin du cycle, on la stérilise et on la range dans sa jolie pochette en tissu fleuri.

 

Ça y est, le jour est venu de l’essayer. Ce matin, je suis chez moi et mes règles ont décidé de se déclencher avec quelques jours d’avance. Serais-je légèrement impatiente de tester la nouvelle acquisition ?

Je stérilise la coupe comme il se doit, puis je la sors de la casserole et je me dirige dans la salle de bain. Là, je dois attendre un petit peu car je n’avais pas pensé qu’un objet plongé dans l’eau bouillante pendant dix minutes en ressortait très chaud ! Je me lave les mains et j’attends un peu qu’elle tiédisse avant de la mettre. Je fais tout bien comme c’est écrit. Je la plie, je l’enfonce (pas trop loin), et je passe le doigt autour pour qu’elle adhère. À ce stade, je tâtonne un peu. Il me faut faire plusieurs fois le tour avant de sentir qu’elle s’est bien placée comme une petite ventouse. Elle avait du mal à se déplier. Ça voulait pas. Mais elle est finalement en place et la petite tige qui permet de la retirer est bien là, facile d’accès. Je vérifie plusieurs fois, des fois que la coquine disparaîtrait tout à fait. Mais non, elle reste bien en place, accessible, installée. Je ne la sens pas plus qu’un tampon. Tout roule.

Au bout de quatre heures, je décide de la retirer. Je suis curieuse de savoir comment elle va ressortir. Je me rends dans la salle de bain et je cherche la petite tige à attraper. Je ne sens rien ! La coupe était pourtant à peine enfoncée et sa tige sortait presque. Je plonge mes doigts plus loin et je la sens. Quel soulagement ! Je cherche donc à l’attraper mais elle ne se laisse pas faire aussi simplement. Elle glisse. C’est que la coupe qui, au départ, ne voulait pas rester, s’est finalement trouvée bien et s’est confortablement logée dans le vagin, assez loin, et elle ne va pas me faciliter la tâche. Je trouve une position plus apte à favoriser son extraction, les jambes un peu pliées, le bassin en légère rétroversion (tout à fait sexy), et, les doigts tremblotant, je retourne à la pêche. Cette fois-ci, je parviens à la saisir. Je la tiens ! Et je la tire doucement vers l’extérieur, mais rien ne bouge. Elle ne veut pas sortir, elle est collée à la paroi. Puisque c’est comme ça, finie la douceur, peu importe comment elle va sortir, il faut qu’elle sorte ! Un coup sec et violent et la voici dehors. Ouf ! C’est par le plus grand des hasards que je la conserve en position verticale et que je ne macule pas les murs de la salle de bain de son contenu. Je la rince aussitôt (comme il était écrit) et… Je la pose sur le lavabo. J’étais censée la remettre en place tout de suite mais ça ira bien pour une première fois. J’arrête là le test.

Pendant la courte durée du retrait de la coupe, je me suis mise dans un état de stress qui m’a rappelé la première fois que j’ai mis un tampon. (J’étais adolescente. C’était il y a longtemps. Et pourtant… J’ai reconnu des émotions très similaires.) Les battements de mon cœur se sont instantanément accélérés. Lorsque je suis retournée dans mon bureau, mes mains tremblaient encore un peu, mes jambes n’étaient pas très stables. Mais j’avais déjà du recul et je commençais à avoir honte de ma réaction. En effet, lorsque je n’ai plus senti la petite tige, je me suis tout de suite affolée. Je n’ai même pas pensé que, comme pour une classique ventouse, un léger appel d’air aurait suffi à la déloger. J’ai imaginé que la coupe avait disparu tout à l’intérieur, tout au fond. Tout au fond ! Au fond de quoi ? Comme si tout communiquait à l’intérieur de mon corps et qu’elle pouvait disparaître si loin qu’elle puisse ressortir par la bouche ! Ça a l’air complètement dingue mais l’idée m’a traversé l’esprit. C’est chaque fois pareil lorsqu’un tampon, un peu trop enfoncé, ne se laisse pas immédiatement retirer, je l’imagine perdu quelque part, intestins, estomac, voire œsophage, ne pouvant ressortir que par voie chirurgicale. Ce n’est pourtant pas par ignorance totale de l’anatomie. (Mais un peu aussi… Par secret bien gardé plus que par ignorance.) On s’enfonce un objet dans le vagin et il disparaît soudain dans le grand inconnu. Il devient inexpulsable. Au mieux il va ressortir par une autre issue tout à fait inattendue, au pire, il va pourrir à l’intérieur… N’importe quoi ! La logique est absente, la raison a disparu. Il ne reste qu’une grande détresse enfantine qu’on ne partage pas.

 

Les hommes regardent leurs organes génitaux, les comparent, les détaillent, les mesurent. Ils en sont fiers. Les femmes, à qui pourtant leur corps rappelle tous les mois qu’elles sont bien des femmes, sont bien discrètes et, souvent, bien ignorantes au sujet des leurs. Ce n’est déjà pas drôle de saigner tous les mois, parfois à peine, parfois à la limite de l’hémorragie. Et, même si on ne souffre pas de douleurs horribles comme certaines, mais de désagréments minimes (maux de tête, maux de ventre, ventre dur et gonflé, seins durs et douloureux, humeur en yoyo – trois fois rien… Juste cinq à sept jours par mois pendant environ quarante ans…), il ne faut pas en parler, pas se plaindre (même pas chez le médecin qui ne voit pas ce qu’il pourrait faire contre la nature et qui invite simplement à la résignation, et même quand ce médecin est une femme). Et il faut supporter l’angoisse de tâcher ses sous-vêtements, voire ses habits, et affronter une belle tranche de ridicule potentiel, la jupe maculée d’une splendide tâche rougeâtre au niveau des fesses, l’angoisse de sentir ce flot se déclencher tout à coup alors qu’on est dans le train et qu’on n’attendait ses règles que dans une semaine, et donc, sans protection… Ou à la piscine, ou à la mer ou, encore mieux, le soir d’un rendez-vous galant. Se précipiter dans les toilettes et colmater le flot inattendu à l’aide des quelques feuilles de papier hygiénique bien rêche des lieux publics, du genre qui arrache la peau et qui, une fois imbibé, se glisse hors de la culotte, le long des cuisses, pour laisser un sillon rouge sur tout tissu qui tenterait de le retenir. On les redoute tellement qu’on a l’impression de sentir mauvais, de dégager, à des lieues à la ronde, des effluves de vieux sang pourri, d’être tout le temps sale. Et l’angoisse se transforme en honte. C’est un comble… Plus j’en bave et plus je suis coupable… Et ce n’est pas avec mon mec que je vais partager ce genre de tracas qui le dégoûte. Il n’a pas envie d’entendre parler de ces histoires de nanas. Et qui le blâmerait ? Ce n’est pas ce qu’on lui a vendu.

 

Allez, va, c’est pas grave. Bientôt la ménopause et ses joies nouvelles me délivreront de ces menus inconforts ! Et alors, je pourrai définitivement remiser les serviettes hygiéniques, les tampons et la coupe, et je serai enfin libre ! Vieille et libre !

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *