Sourd, pas idiot

J’ai accepté d’accompagner Mathilde à un concert. J’étais son dernier choix. Nous étions en janvier, il faisait froid et humide. Tout le monde était malade.

Nous avons fait la queue sous la pluie cinq minutes avant d’entrer. Vigipirate.

Nos sièges étaient bien placés. À l’orchestre. Mathilde m’a montré les noms des musiciens sur le programme. En se dandinant sur son fauteuil, elle m’a poussé du coude en pointant son doigt sur le nom du chef d’orchestre avec insistance. J’ai compris qu’il fallait lui sourire. Je l’ai fait.

La salle était éteinte. Les musiciens se sont installés. J’ai regardé ma montre. Il était 20 h 30. Si le programme disait vrai, le concert allait se terminer à 22 heures. Mon manteau était lourd sur mes genoux. Je l’ai repoussé vers mon voisin de gauche pour qu’il ne trempe pas mes chaussures. Il s’était mis à dégoutter. Il faisait chaud dans la salle. J’ai fermé les yeux mais je n’ai pas pu dormir. Les vieux fauteuils de bois bougeaient sous les vibrations des spectateurs dont les corps accompagnaient la musique.

J’ai regardé la scène. Les musiciens s’agitaient. Le chef d’orchestre brassait beaucoup d’air. J’ai vu des têtes devant moi balancer aux mouvements des archers. Mathilde aussi a suivi le rythme avec sa main. J’ai fait comme eux. J’ai battu le sol du pied. Mathilde m’a posé la main sur le genou. J’ai arrêté.

J’ai regardé les gens aux balcons. La salle était pleine. Devant moi, toutes les têtes étaient tournées vers la scène. Personne ne dormait. J’ai compté les rangées devant nous. Quatre. J’ai compté le nombre de personnes par rangée. Trente. Sur les cent vingt devant, soixante-dix étaient des femmes. Je n’ai pas pu distinguer si elles portaient toutes des boucles d’oreille. L’obscurité, la longueur des cheveux, les foulards masquaient souvent leurs oreilles. La grande majorité avait dépassé la cinquantaine.

Quand je me suis baissé pour ramasser ma casquette qui avait glissé, j’ai regardé ma montre. Il était 21 h 30. J’ai refait un tour de salle. Une dizaine dormait. Les musiciens jouaient une musique plus calme. Leurs gestes étaient moins amples.

J’ai regardé derrière les musiciens, le fond de la scène. J’ai fixé un point imaginaire et j’ai pensé à mon travail. J’avais deux projets à finir demain. Il me restait des détails à régler. J’ai noté les tâches à exécuter, les mails que je devais envoyer.

Quand la vibration s’est accentuée, j’ai compris qu’on était au final. J’ai fait comme Mathilde et mes voisins. J’ai applaudi longtemps. Je me suis levé avec eux et j’ai crié des bravos. Mathilde m’a posé la main sur le coude. J’ai arrêté.

Nous sommes rentrés en métro. Mathilde m’a dit qu’elle a passé une bonne soirée et m’a remercié. J’ai éteint à 23 h 30.

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