La comm’ comme je l’aime

Ce matin, je me suis réveillée alors que je ne me sentais pas réveillée. Je veux dire que mon esprit s’est éveillé soudain alors que mon corps était lavé et habillé depuis longtemps. En effet, en marchant dans la rue, je lève le nez sur l’affiche d’un abribus et je lis ce texte :

La communication des marques finance cet abribus pour mieux vous abriter

JCDecaux

Je le lis parce que la taille de sa police de caractère est colossale et qu’il apparaît soudain devant moi. Je le lis en diagonale comme on lit sans doute les affiches publicitaires qui sont nombreuses et cherchent toutes notre attention. Sans qu’on s’en rende compte, ça doit laisser une impression dans notre cerveau. Il est également possible que ça ne serve à rien mais le secteur de la publicité a dû se livrer à de longues et coûteuses recherches qui doivent démontrer le contraire et valider la nécessité du secteur en question.

À la première lecture, donc, je ne comprends rien mais j’avais lu « abrutis ». Je relis plus lentement car le terme m’intrigue, et je suis rassurée. Je m’étais trompée. On ne parlait pas d’abrutis mais d’abribus. Mais pourquoi ? C’est signé JCDecaux, une entreprise qui œuvre dans la publicité urbaine. Il s’agit donc d’une publicité pour JCDecaux. Enfin, je crois…

On n’y parle pas de « publicité » mais de « communication des marques ». Jolie tournure. Publicité est-il devenu un gros mot ou un mot trop explicite ? Plutôt un mot en perte de vitesse. Il manque de subtilité. Car on ne « vend » plus, on « communique ». C’est beaucoup plus chic ! On n’a même pas besoin d’expliciter et de parler de « communication à des fins commerciales » ou de « communication à des fins de vente », franchement trop vulgaires. On ne parle jamais d’argent. Ainsi, qu’on se lance dans une campagne de santé publique, qu’on milite pour une cause humanitaire, qu’on vende des pois chiches ou qu’on annonce la date de la kermesse de l’école, on communique !

Pourquoi pas ? J’arrête de râler. Les mots évoluent. Certains prennent du galon, d’autres sont rétrogradés. C’est ainsi . Et je relis… Je fais un effort parce qu’on cherche à me communiquer quelque chose ; j’y mets du mien. Pas exclusivement à moi, j’en suis bien consciente, mais étant une passante lambda et l’abribus se situant dans la rue, j’en conclus qu’on s’adresse à des personnes telles que moi. Je traduis le message de la sorte : « grâce à la publicité, vous bénéficiez d’abribus dans la rue pour vous abriter de la pluie en attendant le bus. » (« votre bus » diraient les communicants mais je ne vais pas me lancer dans cette direction…) Et comme je ne comprends pas pourquoi on me dit ça, je réfléchis et j’interprète ainsi : « grâce à la publicité, vous bénéficiez d’abribus dans la rue pour vous abriter de la pluie en attendant le bus et si la publicité urbaine était absente, vous feriez mieux de vous munir d’un parapluie parce que vous n’auriez rien d’autre qu’un misérable poteau qui ne vous protègerait de rien. » J’ajoute « la pluie » en complément du verbe abriter mais on peut également s’abriter du soleil ou de la neige. Je n’ai pas beaucoup d’autres exemples qui me viennent à l’esprit. Je ne pense pas qu’un abribus protège d’une bombe ou d’une inondation. Il est même déconseillé en cas de risque de foudre. Me voici perplexe. Je dois poursuivre l’interprétation à regret car plus j’interprète, plus j’ai de chances de m’éloigner du sens initial.

Comment suis-je censée réagir à ce message ? Remercier JCDecaux qui veille à notre bien-être ? Remercier les entreprises qui utilisent les services de JCDecaux car elles veillent à notre bien-être ? Remercier l’action jointe de JCDecaux et de ces entreprises dont l’objectif est social ? Vilipender la Ville de Paris (car je suis à Paris) qui n’a rien mis en place pour protéger ses habitants ? Vilipender la RATP car c’est bien la régie qui est responsable de cette omission (s’il s’agit d’une omission) ? Ou encore Île-de-France Mobilités ? Ou le conseil régional ?

Cette « communication des marques » vise-t-elle les « non marques » ? Le gouvernement, les services publics ou similaires (comme ceux d’une régie autonome, par exemple), les associations ? Je ne crois pas car il me semble que ces entités utilisent également les abribus pour communiquer ! Je me lance dans des recherches pour trouver au moins un exemple et je le trouve : en 2020, une campagne dénonçant le harcèlement dans les transports en commun placardait ses affiches sur les abribus, tout comme le font les marchands de voitures, de parfums et de saucisses. Je suis satisfaite ; il ne s’agit pas là d’une communication de marques. Mais à y regarder de plus près, mon contre-exemple ne tient pas la route car la campagne organisée par la Fondation des Femmes était soutenue par L’Oréal Paris…

Sommes-nous en présence d’une nouvelle bataille du privé contre le public ? On connaissait déjà cette guerre au théâtre, à l’école. Le terrain des hostilités s’étend-il à la publicité ? Pardon, à la communication…

Je croyais pourtant que j’avais déjà lu des messages sur la sécurité routière, le recrutement de l’armée, le civisme… Je n’ai rien noté, rien pris en photo, et j’en viens à me demander si j’ai rêvé. Alors, il me semble que je me dois de remercier les marques et JCDecaux qui me protègent mieux.… Car je laisse de côté le « mieux vous abriter » qui mériterait un billet à lui tout seul. Jusqu’à présent, une entité nous a peu ou mal abrité et JCDecaux et les marques ont remédié à ce problème.

9 commentaires

  1. Salut,
    Merci, j’ai bien rigolé. Puis j’ai joint mes deux mains et exécuté une génuflexion en pensant en nos généreux bienfaiteurs 😉

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *