Un homme politique parle. Sachons ne pas l’écouter.

J’essaie pourtant de me dire que par-delà la langue de bois, il peut y avoir un message et même une forme de sincérité. Je ne veux surtout pas céder au « tous pourris » qui me ferait irrémédiablement tomber dans le panier de l’indifférence ou du populisme. Mais que c’est ardu ! Et comme la classe politique ne nous aide pas à l’écouter !

Je n’y peux rien, j’aime les mots et j’aime qu’ils m’apportent un savoir, qu’ils m’ouvrent des horizons, qu’ils entraînent mon imaginaire. Mais quand ils sont tournés pour me ficeler autour d’un index dominateur qui voudrait me cajoler pour mieux me dompter, je les boude. Or, cette pratique est habilement exercée par nos politiques qui semblent uniquement formés à manier la langue pour ne pas répondre aux questions qu’on leur pose, pour cracher leur venin sur leurs opposants, pour générer des chiffres abscons et masquer ceux qui pourraient être révélateurs. Pourtant, la maîtrise du talent oratoire n’est pas destinée à convaincre son auditoire par la manipulation. On peut être éloquent et sincère. On peut savoir s’exprimer sans chercher forcément à dominer le dialogue ou à cajoler son interlocuteur.

Un matin de cette année (nous sommes en 2017), au cours de la matinale de France Inter, j’entends un début de discussion entre Nicolas Demorand et un homme politique qu’il est inutile de nommer précisément tellement il est interchangeable. La question du journaliste porte sur la candidature de la personne au poste de secrétaire général d’un parti :

— Vous êtes à la recherche d’un salaire ou pas ? Je vous pose la question car les fonctions que vous occupez à […] sont bénévoles. Vous n’êtes pas payé.

— Moi, dans ma vie personnelle — je vous ai dit qu’on ne parlait pas de personne — sauf que, moi, je suis papa, que j’ai deux filles dont une étudiante. La question du salaire, elle est, pour moi, comme pour vous, importante…

À partir de là, je suis déjà passablement énervée, je n’écoute plus. Les sous-entendus dissimulés et le ton adopté dans ce début de réponse ont raison de ma patience. Si l’homme, car c’est bien un homme, commence comme ça, il y a peu de chance qu’il parvienne à capter mon attention lorsqu’il va traiter des sujets réellement politiques. Mais bon, le pauvre, il ne voulait pas parler de sujets personnels, c’est le journaliste qui l’y force, alors il faut bien qu’il lui réponde. Ça ne serait pas son genre de répondre totalement à côté pour ignorer la question et aborder à la place un thème qui lui tiendrait à cœur…

Voici donc ce que j’entends dans ces quelques phrases :

— « moi, je suis papa »

J’apprécie particulièrement le mielleux du « papa ». Il n’est pas père, non, il est papa. Un papa, c’est un gentil qui s’occupe bien de sa progéniture, c’est quelqu’un qui aime vraiment ses enfants. Ce n’est pas un père sévère qui se contente de les éduquer et de les nourrir. C’est un tendre. Dans la bouche d’un adulte, le terme « papa » est loin d’être anodin. Quand un journaliste demande à une personne qu’il interviewe ce que faisait son papa, on sent toute la tendresse pour l’être protecteur qu’on ne peut que chérir. Un papa, on l’aime forcément.

— « j’ai deux filles, dont une étudiante »

En plus d’avoir deux enfants, nombre idéal que tout homme normalement constitué et maritalement engagé se doit de souhaiter à notre époque, il a le bonheur d’avoir deux enfants de sexe féminin, deux êtres fragiles dont il se sent hautement responsable. Les filles, c’est bien connu, sont très attachées à leur papa. L’une d’elles étudie, ce qui tendrait à démontrer qu’elle est encore à sa charge. Je ne pense pas qu’il veuille entendre pas là que l’autre n’a pas fait d’études et travaille déjà comme caissière ou femme de ménage depuis plusieurs années. Il ne voulait pas parler de lui mais, finalement, il nous en dit plutôt pas mal.

— « La question du salaire, elle est, pour moi, comme pour vous, importante »

Il n’est pas rentier, lui. Il a besoin de travailler. Comme tout le monde ! Et voilà, ça y est, nous nous sommes identifiés. La classe politique n’est pas majoritairement constituée de nantis mais de « gens comme tout le monde ». Il a besoin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite famille. Et sa femme ? Il n’en parle pas. Elle ne travaille pas ? Quitte à nous faire des confidences, il pourrait nous parler de l’occupation de son épouse ou même nous révéler son salaire. Car si « tout le monde » travaille, ou le souhaiterait en tout cas, tout le monde n’est pas rémunéré par un salaire et ne dispose pas du même montant en fin de mois.

Mais c’est là que je m’aperçois que je me suis emballée. Il n’a pas dit « comme tout le monde ». Il a dit « comme pour vous ». Là, effectivement, je comprends mieux. C’est tout de même plus honnête. Il n’a pas tout à fait perdu le sens des réalités et se compare à une personne comparable. « Nicolas, mon ami, il est inutile que tu me poses cette question. Tu sais bien qu’avec le train de vie que je mène j’ai besoin d’un salaire et pas d’un petit. » Je n’ai aucune idée du salaire de l’un ni de l’autre mais je ne crois pas me tromper en disant qu’ils ne sont pas smicards. Je peux envisager que l’homme politique implique une sorte de fraternité entre eux. Le journaliste n’a pas relevé.

Il est également à noter que s’il a besoin d’un salaire, ce n’est pas pour lui mais parce qu’il a des enfants. Sans ses deux filles, notre homme se débrouillerait très bien avec de l’amour et de l’eau fraîche. En effet, tout être qui ne s’est pas reproduit est libéré des contingences matérielles et ne travaille plus que par passion ou pour la gloire. Lui ne mange pas, n’a pas besoin d’un logement, d’électricité, de moyens de transport, etc. Sa vie est dédiée à sa progéniture. Son sacrifice est complet. Si tous les citoyens suivaient son exemple, le monde tournerait plus rond…

Résumons-nous. Ce monsieur s’est placé d’emblée, en quelques mots, dans une respectabilité et une normalité apparentes. Il est le père aimant et aimé de deux enfants. Il est donc hétérosexuel. Il n’est pas issu d’une famille tellement aisée qu’il puisse de passer de gagner sa vie. On pourrait même l’imaginer prendre le métro aux heures de pointe. C’est un homme simple.

Je n’écoute plus. Le « papa » débilitant a détourné mon attention. Sait-il que les gens simples ne sont pas forcément des gens bêtes ?

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