La publicité n’est jamais progressiste

Les modes de communication utilisés pour vendre un produit ont bien changé depuis les vieilles réclames de la télévision. D’ailleurs, la terminologie a également évolué. Tout est devenu « produit », d’un simple objet à un service complexe, ce qui se monnaye est un produit. Une réclame évoque un message basique, un slogan niais créé pour vendre de la lessive ou de la margarine, éventuellement accompagné d’une chansonnette. On la considère aujourd’hui avec une bienveillance nostalgique teintée de mépris. « À cette époque, on envoyait des messages simplistes. » Comme si on parlait de la préhistoire et non de quelques décennies en arrière à peine, un âge où l’humanité ne disposait pas encore des clés nécessaires à la mise en place d’une communication élaborée.

Nous sommes beaucoup mieux lotis à présent. Les supports et les types de messages publicitaires ne cessent de se renouveler. Les affiches suivent le regard du passant ; elles s’animent. Les spots publicitaires sont de plus en plus sophistiqués, totalement indécryptables à qui n’est pas inclus dans la cible visée. Les écrans des ordinateurs et des téléphones frétillent des messages vendeurs qui clignotent à chaque affichage d’une nouvelle page. Les séances de cinéma proposent des courts-métrages artistiques à peine évocateurs d’une marque. Et les supports classiques sont également toujours là car il ne faut laisser aucune portion d’espace libre, aussi infime soit-elle, qui pourrait permettre au regard et à l’esprit de faire une pause. Sur les autobus, sur les bords des routes, sur les murs, dans le métro, sur les Abribus, dans les gares, dans les aéroports, dans les journaux et les magazines…

Il ne faut pas que la multiplicité des formes nous fasse oublier le principe de base d’un message publicitaire : il veut vendre quelque chose. Et plus il veut vendre quelque chose dont personne n’a que faire, plus il est recherché. On ne parle plus qu’à notre raison ou à notre pouvoir d’achat, la notion de prix et de tarif étant généralement vulgaire. On parle à notre conscience, à nos émotions, à notre sens moral, à nos principes, à nos rêves, à nos aspirations. De bien grandes notions pour du commerce.

Je me souviens d’une affiche dans le métro à la période de Noël pour les Galeries Lafayette. On y voyait une belle jeune femme habillée de façon fantasque, assise sur un animal chimérique. Le slogan disait « Rêvez l’inimaginaire ». Au feutre, quelqu’un avait ajouté en-dessous « et achetez n’importe quoi ». Ce message manuscrit m’a frappé par sa lucidité étincelante. En effet, que voulait dire cette image d’un prétendu songe ? Que peut-on trouver d’autre aux Galeries Lafayette que des objets ? Certes, pour beaucoup, ils restent du domaine de l’inaccessible car ils coûtent une fortune mais cela n’en fait pas pour autant des objets fantastiques. Ainsi, on dit à ceux qui peuvent se le permettre « Vous pouvez vous payer du rêve » et aux autres « Si vous aviez assez d’argent, vous auriez tout ce que vous désirez ». La photo était très artistique, inventive, colorée. Le message était poétique. Le tout reste un slogan publicitaire.

Cet été, toujours dans le métro, des affiches vantent un nouveau site de rencontre gay. « Cassez les codes » y lit-on. Et on y voit une dizaine de portraits d’hommes dans la vingtaine, tous plus beaux les uns que les autres. La diversité se retrouve dans leur tenue : costard, décontracté, sportif, soirée, déguisement. De quel code parle-t-on, du code vestimentaire ? Quelles idées reçues est-on en train de démolir ? Et à qui s’adresse-t-on exactement ? Les homosexuels présentés sont de jeunes et beaux urbains, exactement tels qu’on les imagine. Alors, c’est peut-être parce qu’on ose parler de l’homosexualité qu’on est précurseur ? Pourtant, c’est bien parce que la population gay à Paris est acceptée qu’on peut se permettre de se lancer dans une telle campagne. Elle n’est pas faite pour révolutionner les mentalités. À présent que les homosexuels se font leur place, qu’ils peuvent s’afficher plus ouvertement, une nouvelle demande de site de rencontres est là et il faut saisir l’opportunité. Je conçois bien qu’une publicité ne peut pas être aussi honnête dans son message car il faut avant tout qu’elle plaise mais elle n’a non plus besoin de jouer les avant-gardistes. Mais, après tout, on ne parlait peut-être que de code vestimentaire et je m’emballe un peu, mais la formule me donnait l’impression qu’on s’adressait à tout le monde…

Si je m’achète une robe ou une paire de chaussures, je n’ai pas besoin de croire que je me livre à un acte plus digne que la simple consommation. Je ne suis pas solidaire parce que j’achète du commerce équitable. Je ne sauve pas la planète parce que j’achète de la lessive écolo. Je ne suis pas quelqu’un de tolérant parce que je bois une bière Heineken qui affichait comme message, il y a quelques semaines, « le brassage est une richesse ». Je ne me sens pas flattée. Je me sens flouée. J’ai envie qu’on me parle avec honnêteté et la publicité me semble toujours opposée à ce principe. Elle veut me plaire et ça me déplaît. Je préfère qu’on parle à ma raison qu’à mes émotions.

 

J’ai pourtant le sentiment que nous en sommes à un nouveau stade préhistorique de la publicité. Les annonces qui découlent de nos recherches sur le web, et qui s’affichent dans la page des résultats du navigateur, sont plus souvent irritantes qu’intéressantes. « Vous venez de faire une recherche sur un vol Paris Berlin, je vous propose illico des pubs pour des vols Paris Berlin. Puis je vous montre des sites d’hébergements au cas où vous ne sauriez pas où dormir… » C’est un peu simpliste. En outre, si on a pris ses billets à l’issue de la première recherche, on est tout de même bon pour une journée de publicités sur les vols sur l’Allemagne… Mais il est à parier que ça va évoluer. Et vite. Cette publicité personnalisée a déjà changé de nom depuis son apparition. Elle s’appelait auparavant « publicité ciblée par centres d’intérêt » et sera très certainement rebaptisée prochainement pour, au final, aller rejoindre la réclame dans le panier des termes désuets et laisser la place à des méthodes plus efficaces.

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