Qui a peur du grand méchant anglais ?

Arrêtons de râler sur le vocabulaire anglais qui envahit notre quotidien. D’abord, les emprunts, les allers-retours (vous savez, le fameux « budget », et si vous ne savez pas, renseignez-vous, c’est assez rigolo) et autres interactions avec les autres langues ne datent pas d’hier. Les langues bougent, se rencontrent, dialoguent, se disputent et se rabibochent. Ensuite, on n’aime pas que l’anglais envahisse notre vocabulaire parce qu’on est mauvais joueur. Quand le français domine, on trouve ça normal. Quand le français est la langue officielle de l’Union postale universelle et qu’on l’utilise sur les plis internationaux, est-ce justifié ? On s’en fiche, ça nous plaît bien. Le français dominant, c’est chic. L’anglais dominant, c’est vulgaire. On ne va pas comparer un escrimeur et un footballeur tout de même. D’ailleurs si l’escrimeur sait masquer son origine (qui serait germanique), le footballeur en est incapable même si on lui a collé un suffixe en « eur » pour l’intégrer.

C’est vrai qu’ils sont un peu énervants ces mots anglais qui fleurissent de plus en plus souvent, surtout lorsqu’ils ne sont pas justifiés. Hier matin, dans mon quartier parisien, je passe devant une boulangerie qui ne cesse de se renouveler pour s’adapter aux modes, « à la demande » comme on dit — car c’est bien nous, les « consommateurs », qui réclamons de la nouveauté quasi quotidienne. Ce commerce a depuis longtemps cessé de se borner à vendre du pain, des pâtisseries et des viennoiseries. Il est d’abord passé au pain bio, puis il s’est pourvu de mignonnes cagettes en bois, façon Petite maison dans la prairie, pour proposer quelques fruits et légumes également bio et dont la quantité réduite justifie le prix élevé. (Que ceux qui préfèrent la production intensive cancérigène aillent se fournir au supermarché. Chacun ses goûts.) Il y a ajouté quelques bouteilles de jus de fruit et quelques conserves, toujours haut de gamme et haut de prix. Je ne saurais dire si le prix du pain enfle à chaque ajout car je ne fréquente plus l’établissement ; je ne m’estime pas assez bien vêtue pour y pénétrer. Hier, donc, le pain a peut-être pris quelques centimes car la boulangerie de quartier est devenue une « Urban Bakery ». C’était savamment griffonné sur la devanture. Ça en jette. Ou c’est cucul la praline. Ça dépend de la sensibilité du passant. Et quand, en plus, c’est prononcé n’importe comment, ça peut devenir franchement drôle.

Il nous manque du recul pour savoir si les mots qui s’invitent chez nous ne font que passer ou s’ils comptent s’installer. Et certains le font très bien. On a accepté le rock’n’roll, le funk, la soul (certes en l’affublant d’une étrange diphtongue qui la rend méconnaissable à un locuteur anglophone) mais il est probable que l’introduction de ces mots ait provoqué le même émoi à l’époque. Je ne saurais le dire car je suis née alors que le parking et le week-end existaient déjà. Je portais des sweat-shirts (à prononcer absolument « sweet », et encore aujourd’hui, sous peine d’incompréhension) et j’avais un walkman mais je n’allais déjà plus au dancing comme le faisaient mes parents dans leur jeunesse. Ainsi donc, les emprunts s’invitent dans notre langue mais s’ils le font uniquement sous l’effet d’une mode éphémère, ils peuvent aussi bien disparaître en même temps qu’elle ; bien que l’exemple du dancing ne soit peut-être pas très bon car je ne pense pas qu’il y ait eu des dancings dans le monde anglophone comme il y avait des drive-ins.

Aujourd’hui, c’est peut-être plus l’hégémonie de l’anglais qui nous inquiète et la multiplication de ses mots qui galopent par hordes dans notre vocabulaire avec les technologies qu’ils décrivent ? C’est l’anglais du numérique qui nous dérange. Pourtant, nous sommes peut-être mieux protégés que les anglophones en ce sens que cette nouvelle terminologie ne fait que heurter nos oreilles et viennent parfois un peu nous titiller les nerfs. À peine.

Le vocabulaire de l’informatique envahissante évolue tellement vite qu’on n’a même plus le temps de le traduire. Il faut l’adopter dès qu’il survient. Alors, comme on n’a pas le temps de réfléchir, on le prend tel quel, en anglais. Beaucoup de motifs ineptes accompagnent ce choix : l’anglais est une langue plus logique ; le concept est intraduisible en français, c’est pas pareil ; en français, ça veut pas tout à fait dire la même chose ; c’est trop long en français… La vraie raison, à mon avis, c’est la paresse. Lorsqu’on prend le temps d’étudier la question, on trouve de bonnes traductions. Le logiciel et l’ordinateur ne sont pas remis en question. S’ils arrivaient aujourd’hui, on les nommerait computer et software. Parce que le temps, c’est de l’argent.

Pourtant, cette situation me paraît réjouissante. Si nous stockons nos données dans le cloud, que nous décidons d’accepter les cookies et que nous surfons sur le web, même si nous comprenons l’anglais, nous pouvons fermer les écoutilles, ne pas porter le regard vers le ciel et oublier ce qu’est un cloud. Si quelques farfelus choisissent de traduire le concept, ils ne dépassent sûrement pas le stade de la traduction littérale pour parler de nuage. Et par cette triste tentative, voici notre ciel enlaidi de chiffres, de données et de connexions, une déchetterie engorgée par le superflu numérique. Parlons donc plutôt de cloud et conservons à nos nuages leur puissance imaginaire. Confinons les cookies derrière nos écrans et ne les laissons pas nous gâcher la saveur des biscuits. L’araignée aussi est ravie que nous ne cherchions pas à parcourir sa toile qui ne résisterait pas au poids de nos explorations massives.

Certes, mes exemples sont déjà dépassés. On en est aux hashtags et aux followers et on n’hésite plus à emprunter les verbes et à les conjuguer. On a liké à qui mieux mieux, on like et on likera. Barbarisme, hérésie ? Qu’importe. C’est le pauvre verbe « like » qu’on maltraite. Notre verbe aimer ainsi épargné n’a pas pris l’acception de « cliquer sur un pouce vers le haut pour marquer son appréciation ». Tant mieux. Il n’y a pas de quoi pavoiser à signifier une action si peu réfléchie, à la fois importante et insignifiante. Continuons de liker en ligne pour ne pas oublier d’aimer en vrai.

L’évolution de nos vocabulaires, quelle que soit notre langue, n’est pas de notre ressort. C’est le big data qui décidera. « Le » big data… Pourquoi un masculin singulier alors qu’on parle aisément de données au féminin pluriel. On n’aimait pas les big data, les grosses données ? Non, décidément, le gros, on n’aime pas. Alors, on préfère utiliser un terme anglais qui, moi, m’évoque la Grosse Bertha… Big Data, Big Bertha, ça pourrait aussi sonner aux oreilles anglophones. Mais ça, c’est à eux de voir…

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Voici un lien vers une émission intéressante à ce sujet :

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/le-franglais-incoercible

8 commentaires

  1. J’aime bien votre façon de voir ce que nous permettent les mots anglais envahissants : on peut les massacrer plus ou moins, et on se garde nos mots à nous intacts !
    A part ça, associer Big Data et Big Bertha, c’est pas un peu un …obus de langage ? 😉

    1. C’est un peu de problème de la langue qui s’étend de trop. On doit se l’approprier à sa façon et elle finit par ne plus ressembler à grand chose. Mais c’est aussi ça, l’évolution !
      Et je me garderai bien de tirer à boulets rouges sur la langue de Shakespeare que j’adore ! 😉

    1. C’est ça ! 😀 Ce sont les symptômes d’une traductrice en burn out ! Y en a qui sortent dans la rue avec un fusil et y en a d’autres qui en perdent leur grammaire. C’est moins néfaste pour les autres mais je t’assure que c’est douloureux pour le souffrant ! 😉

  2. Merci pour ce texte ! J’ai presque pitié de la pauvre petite langue anglaise maintenant. Tellement utilisée qu’elle s’en trouve complètement déformée. Le français ne s’en sort pas si mal . 😉

  3. Hello You ♫
    C’est une belle introduction à une future thèse que je t’invite à rédiger car les arguments et les explications sont très justes. This text is a « Very Good Map » pour les « Non Initiated People » ! LOL ♫

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